Bonjour, quels ont été vos parcours étudiant & professionnel ?
Mickaël : J’ai fait un BAC STI Electrotechnique parce qu’on m’a dit qu’il y avait du travail, mais ça m’a déplu. J’ai donc voulu partir en école de son, mais on m’a dit qu’il n’y avait pas de travail. J’ai finalement voulu partir en école d’art, mais on m’a dit qu’il y avait encore moins de travail. Je suis donc parti en école d’art. Deux ans de prépa puis Master de Design Graphique à l’EPSAA (j’en profite pour faire la pub de cette école : c’est bien et c’est gratuit) J’arrive chez DDB Blackbird à la sortie de l’école pour y faire de l’identité et de l’édition.
Je découvre la pub en fouillant dans les dossiers des créatifs sur le serveur de l’agence et ça me fascine. Avec un copain rédac qui bossait également chez Blackbird à ce moment (Rémi Dias Das Almas), on décide de se mettre en team, ou plutôt de mettre nos projets respectifs dans le même .PDF et de tout faire pour être embauchés par Alexander Kalchev qui venait tout juste de prendre la direction de création de l’agence.
On prend rendez-vous pour le voir, on toque à la porte de son bureau, mais il n’a finalement pas le temps. On y retourne le lendemain, on toque, toujours pas le temps. Le lendemain toujours pas. Donc on le coince dans le hall de l’agence, dans l’escalier, dans l’ascenseur, on ne le lâche pas. Deux mois après, il nous embauche pour qu’on arrête de l’emmerder. Avec Rémi on reste en team un an, puis on a des envies différentes, alors on se sépare. Peu après je me mets en team avec Benoît, également célibataire à ce moment.
Benoît : Après un bac ES, Khâgne et Hypokhâgne B/L, à Bordeaux (C’est comme une classe prépa littéraire mais avec des maths et de l’économie pour souffrir un peu plus). Ensuite Sup de Co Bordeaux, avec déjà l’idée de faire de la pub. Très vite découragé par les cours de finance, droit, marketing, j’ai cherché une formation plus créa.
Un rédac en agence à Bordeaux m’a conseillé Sup de création, une école qui ne forme que des créatifs. Génial. En attendant d’avoir le concours j’ai eu le temps de m’adonner à ma passion première, la philosophie, à la fac de Bordeaux. Licence puis maîtrise, comme on disait à l’époque (Je suis si vieux.)
Après Sup de Création, j’ai enchaîné un stage de 6 mois chez CLM BBDO, un premier contrat chez M&C Saatchi.GAD, un passage chez New BBDO (agence aujourd’hui disparue). En 2012, j’ai rejoint un DA chez DDB (Sébastien Henras) pour former un team. En 2016, on se sépare. Avec Mickaël on se connaissait déjà et on écoutait la même musique déviante alors on a commencé à travailler ensemble. Le reste appartient à l’histoire. Très modestement.
Depuis combien d’années travailles-tu dans le milieu de la publicité ?
Benoît : Ça va faire 10 ans.
Mickaël : Ça fera très exactement 4 ans le 10 octobre 2019.
Et vous avez quel âge ?
Benoît : 35 ans
Mickaël : 30 ans.
As-tu hésité à faire de la pub ? tu aurais fait quoi à la place ?
Mickaël : Non je n’ai pas eu le temps d’hésiter. Tout est allé très vite. C’était plus un challenge qu’un plan de carrière au départ.
Benoît : Non plus, car j’y pensais depuis longtemps. J’aurais aussi pu être prof de philo, mais les pulls à cols roulés, ça pique vraiment trop le cou.
Tu travailles avec qui et sur quoi ?
On travaille sous la direction de création d’Alexander Kalchev, sur tous les budgets de l’agence : Volkswagen, Ubisoft, Hennessy, L’équipe, etc… et régulièrement sur des compet.
Parlez-nous de 2-3 choses que vous avez faites
Volkswagen – Rien
Notre premier projet ensemble. Comme ça on peut dire à qui veut l’entendre que l’on est partis de rien. Et nous pouvons sortir des centaines de jeux de mots du même niveau.
Ubisoft – From sand
Un trailer en full CGI pour le jeu Assassin’s Creed Origins. Un travail très fastidieux mais passionnant qui nous a permis de passer une semaine à New-York pour bosser avec les équipes de MPC. Et à Mickaël de découvrir les poireaux vinaigrette.
Marie-Claire – Merci à tous
Parfois, tout se passe bien. Le brief, la strat, la conception, la vente, la prod. Et notre premier pencil aux D&AD.
Hennessy – The Master Blender’s Quest
C’était long, quasiment deux ans de prod, mais c’était fou.
L’équipe – Tous unis par le sport
On s’est beaucoup amusés à produire cette campagne (quoiqu’un peu moins au 37ème retour client) .
On a vu pas mal de gens passer du temps devant l’affiche, faire des commentaires. J’ai même rencontré un conducteur de métro qui s’arrêtait devant cent fois par jour et qui l’avait lue en entier.
Cliquez sur les visuels pour les agrandir
Volkswagen – Les autres
Ça a été une vraie chance de pouvoir sortir un film comme celui-là en 2019 pour vendre de la technologie.
Tu fais quelque chose en parallèle de ton métier, des projets/passions ?
Mickaël : J’ai joué dans pas mal de groupe de métal ces 15 dernières années. Un peu moins ces 4 dernières années.
Benoît : Lire, aller au ciné aussi souvent que possible. Je joue au basket à un niveau assez éloigné de LeBron James. Sinon j’adore les expos de peinture et marcher sans but précis. Je joue également de la guitare, à un niveau assez éloigné de Mickaël Jacquemin.
Dans ton métier quel est ton meilleur et pire souvenir ?
Benoît : Meilleur souvenir : le tournage de « Rien », à Lisbonne. C’était notre premier tournage de cette ampleur, avec une super équipe côté agence comme côté prod. Cerise sur le Pasteis, on est restés une semaine de plus pour tourner une autre série de spots pour Volkswagen. Pire souvenir : Une fois, j’ai du faire un workshop de trois jours pour un annonceur bancaire dans une tour à la Défense.
Mickaël : Le jour où Alexander a cédé à notre harcèlement et nous a embauchés. C’est à la fois le meilleur et le pire. Le meilleur parce que j’avais l’impression d’avoir réussi, alors que je n’avais encore rien fait. Le pire parce que j’étais censé partir vivre au Canada avec ma copine et des potes à ce moment, et que j’ai dû leur annoncer un mois avant que j’allais devoir rester. Ils sont partis sans moi.
Il y a des choses qui t’ont fait halluciner ? Un regret ?
Mickaël : L’arrivée sur le tournage de Rien. Le nombre de techniciens qui couraient partout pour mettre en place ton film. Quand les choses se réalisent et deviennent physique, ça c’est cool.
Benoît : Aucun regret, les mauvaises expériences m’ont plutôt appris à apprécier les bonnes.
Effectivement la logistique pendant les tournages pour produire 1 minute de film est hallucinante. On se dit toujours que la moitié du matériel est en mousse, juste pour faire de l’effet.
Sinon, parmi les choses qui nous ont fait halluciner, dans le désordre :
– Arriver à mettre un morceau de Gojira dans une pub pour une marque alimentaire (Céréal Bio).
– Placer Frank des 2be3 dans une annonce contre le harcèlement sexuel.
– La capacité d’Alexander Kalchev à ressortir des campagnes incroyables que tout le monde avait oubliées.
– Bosser une semaine chez Adam&Eve DDB et découvrir qu’on peut être DC et co-fondateur de la meilleure agence du monde et en même temps rester ouvert et humble. (Ndlr : Ben Priest qui a quitté l’agence depuis)
– Partir à New-York pour produire un film sur l’Égypte antique.
Quelles sont les pubs que tu préfères, tes classiques ?
Et toutes les accroches The Economist déjà citées ici par à peu près tout le monde.
Tu as des modèles de créatifs dans la publicité ? ou en dehors des gens qui t’inspirent ?
Benoît : Concernant les créatifs on a la chance de pouvoir être inspirés par notre entourage immédiat. Par exemple Jean-François Bouchet qui écrit comme personne d’autre ne sait/veut le faire et juste en face de nous Patrice Dumas, qui est Patrice Dumas.
Mickaël : Beaucoup : Juan Cabral, Alex Webb, Thom Yorke, Joseph Duplantier, Charles Bukowski, Cizia Zykë, Juan Branco, Sylvain Tesson, Jean-Paul Goude, Na Hong-jin, Ai Weiwei entre autres.
Benoît : En dehors de la pub , on est forcément influencés de près ou de loin par toutes les choses qu’on aime et qui n’ont rien à voir avec la publicité.
La philosophie de la connaissance. Sartre, Husserl, Ferembach (depuis peu).
Greg : ahah, tu dis ça pour les itw et la masse d’infos dedans ?
Je ne veux pas te décevoir, mais c’est simplement parce que tu as tout à fait un nom de philosophe allemand. Ce qui est quand même très classe.
Sinon, Lovecraft pour sa capacité à nier le réel. Michel Houellebecq pour sa capacité à le prendre à bras-le-corps. Proust, le meilleur de tous. En cinéma David Lynch, Raoul Ruiz, qui ont réussi à mettre en scène et à faire exister des pures visions. Denis Villeneuve aussi.
Toute la violence et l’émotion qu’on ne trouve que dans le punk, le Metal et les autres styles dérivés.
La publicité n’est-elle pas l’opposé de la philosophie ?
La philosophie et la publicité ont des buts radicalement différents. La vérité pour la première, vendre un produit ou un service pour la seconde. Mais si on pouvait mettre ne serait-ce qu’un soupçon de philosophie dans la pub, celle-ci serait bien meilleure. (fonctionne aussi avec l’art, la science, le design, et tout ce que l’humanité a produit de meilleur)
Tu vois quoi comme changement entre tes débuts et maintenant ?
Mickaël : J’ai de plus en plus l’impression de vivre dans The Silver Hand quand j’entends parler d’applications tel que TikTok.
Benoît : Beaucoup moins de boards à découper, beaucoup plus de mood tapes. Les compétitions sont plus dures avec plus de travail à fournir dans les mêmes délais. La technologie nous offre beaucoup plus de possibilités. On doit faire plus attention à ce que l’on dit et à la façon dont on le dit car la société évolue vers une plus grande sensibilité. Mais globalement le cœur du métier n’a pas changé. Trouver une bonne idée, c’est toujours aussi difficile et toujours aussi excitant.
Le milieu publicitaire va évoluer de quelle manière ?
Benoît : L’offre publicitaire s’est complexifiée, les agences de publicité vont devoir compter avec d’autres acteurs issus du digital ou de la production. Il suffit de regarder les boîtes présentes sur la croisette pendant les Cannes Lions, les agences sont minoritaires.
Mickaël : C’est plus un espoir qu’une certitude mais j’espère qu’on va retrouver de la légèreté. Aujourd’hui de plus en plus de marques, souvent les plus illégitimes, se prennent très au sérieux, veulent faire prendre conscience que l’heure est grave et nous tirer les larmes. Tous ces faux-bons sentiments ne font plus d’effet à personne, même si ça marche encore bien en festival, ce qui m’étonne toujours d’ailleurs. Je souhaite également la mort imminente du case study afin qu’on ne juge que des campagnes sous leur forme réelle et non sur-romancée, voire inexistante. Je suis scandalisé de voir autant de campagnes avec le mot « Ghost » qui clignote en rouge primées tous les ans à Cannes. C’est aussi pour cette raison que j’aime autant le film. Un film se cache difficilement derrière un case.
Si tu commençais la pub aujourd’hui, tu irais où ?
Mickaël : Je n’ai pas encore l’impression d’avoir fait le mauvais choix, donc j’irais probablement toquer au bureau d’Alexander 3 fois par jour.
Benoît : Quelque part à Londres, très probablement.
Pourquoi ?
Pour la ville, pour les agences, pour développer sa plume en anglais, tout ça avec un choc culturel moindre que dans une agence américaine.
Quelqu’un qui veut percer dans le milieu publicitaire, il doit faire quoi ?
Benoît : Regarder les meilleures campagnes qui sortent, se sentir capable de faire aussi bien, essayer de faire aussi bien et pourquoi pas mieux. Rester curieux et continuer de découvrir des choses en dehors de la pub. Et surtout rester assez amoureux de l’activité créative elle-même pour pouvoir tolérer tout le reste : les compet perdues, les campagnes qui ne sortent pas, les briefs forcément moins intéressants au début…
La frustration est-elle l’amie de la création ?
Benoît : En publicité, plutôt non. La frustration peut être un moteur à court terme mais à long terme elle devient une énergie négative. Quand tu arrives à tes fins, ça te donne confiance et ça te motive pour continuer.
Mickaël : C’est très subjectif mais si je peux donner un conseil : Faites les choses par vous-même. Trouvez une idée et essayez de la concrétiser au maximum. Prenez votre Iphone et allez filmer, téléchargez un logiciel de montage et montez, allez sur Youtube regarder un tuto DaVinci et étalonnez, même mal. Déjà vous vous amuserez beaucoup plus, ce sera plus gratifiant, et vous vous approprierez beaucoup plus votre projet que si ce n’est qu’une ligne sur une feuille. Et pour celui qui verra votre boulot, ce sera aussi plus sympa à regarder que l’éternelle planche logo/problématique/idée que les écoles de pubs imposent à tous leurs étudiants et qui a pour conséquence de tout uniformiser. Prenez du plaisir à faire votre boulot et vous donnerez du plaisir à celui qui le regardera.
Et osez, il n’y a pas de règles.
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