Bonjour Virginie, quel a été ton parcours étudiant/pro ?
Après une école de communication classique, j’ai commencé dans la publicité « traditionnelle » chez BETC, mais en CDD. Et ce qui devait arriver arriva, 2003, la crise, tout ça… Je suis devenue free-lance. Mes clients : principalement BETC, mais aussi CHANEL, l’agence Select, Van Cleef & Arpels etc… C’est là que j’ai découvert le luxe et que mon profil a commencé à muter. Puis BETC m’a proposé de les rejoindre pour de bon. J’y suis restée durant 6 années intenses et passionnantes, passant de Orange à Helena Rubinstein, de 3 Suisses à Air France, avant de rejoindre Sébastien Vacherot, qui venait d’arriver à la tête de Publicis Luxe.
Outre son talent fou, il avait l’amour du concept et avait envie de l’insuffler là où justement on ne l’attendait pas. On parlait le même langage, je l’ai suivie sans me poser de question. Léa, avec qui je voulais travailler depuis longtemps, m’a rejointe deux ans plus tard. Nous avons eu la chance de pouvoir travailler sur tous les plus beaux sujets de l’agence, jusqu’à ce que nous gagnions Swarovski. Aujourd’hui, on est DC sur le compte et on a avec nous une super équipe de jeunes créatifs.
Depuis combien d’années travailles-tu dans le milieu de la publicité ?
J’ai commencé en l’an -7 avant instagram.
As-tu hésité à faire de la pub, tu aurais fait quoi à la place ?
Je savais que je voulais avant tout écrire. A l’époque, j’ai hésité avec le journalisme. Et puis je suis tombée sur le travail de Pierre Dominique Burgaud, je lui ai écrit, il m’a prise en stage. Et je ne me suis plus jamais posé la question du journalisme.
Tu es ‘fan’ de quoi ? (hors pub )
Selon mon compte Betaseries, j’ai passé 5 mois 1 semaine 3 jours et 17 heures devant des séries, soit 5657 épisodes. Il est évident que je n’ai pas le temps pour d’autres passions.
Il y en a deux qui ont été « fondatrices » pour moi. Breaking bad et Six feet under, du premier épisode au dernier, tout est tiré au cordeau. Et j’ai également été complètement embarquée émotionnellement par The Leftovers.
Et sinon, je regarde en ce moment « Working mom », une série canadienne suivant le quotidien de 4 femmes qui reprennent le boulot après leur congés mat. Tellement drôle et parfois si vrai.
Tu as travaillé sur quels budgets, avec qui ?
Depuis que je suis chez Publicis, je dirais principalement Cartier, Persol, Belmond, Louis Vuitton, Swarovski… avec beaucoup de DC différents. Mais toujours avec Léa Rissling.
Dans le Luxe on peut avoir des idées ? ou le craft prend le dessus, ou D la réponse D.
Dans le luxe, il FAUT avoir des idées, plus que jamais à l’heure du storytelling. Le sujet n’est plus de faire de belles images mais de raconter les meilleures histoires. En revanche, ce qui est sûr aussi, c’est que ces histoires, aussi créatives soient-elles, ne sont rien sans le craft. Je dirais donc réponse D.
Parles nous de 2-3 choses que tu as faites :
- Vuitton « Never ending stories »
On a voulu raconter plus de 100 ans d’histoire de marque en une minute. Mais une minute ludique et inventive, en forme de cadavre exquis… Ce fut passionnant de plonger dans les coulisses de Vuitton et de créer un film luxe qui repose (une fois n’est pas coutume) autant sur les mots. Ce fut aussi le plus grand casse-tête de rédac ever. Une scène changeait, et il fallait tout réécrire.
- Belmond est sans aucun doute l’une de nos meilleures expériences de créatives. On a voulu prendre le contre-pied de toutes ces chaines d’hôtels au luxe standardisé en redonnant à ces lieux si singuliers leur âme. On a interrogé le personnel, les figures emblématiques des lieux, on a fouiné dans leurs archives à la recherche d’histoires et anecdotes. Tous nos personnages « Wes Andersonnien » ont été inspirés de la réalité… Fun fact : l’un d’eux y joue vraiment son propre rôle.
On avait un tout petit budget mais un client absolument fantasque qui nous a fait confiance à nous et à SoLab, une prod géniale … On est parties tourner à bord de l’Orient express, puis en Italie avant de finir à 5 au Brésil, lâchés dans le Copacabana Palace… On a eu l’impression de partir tourner en famille. Le retour en éco a certainement contribué à cette sensation 😉
- Swarovski
Notre dernier bébé. On a rentré la compèt et on a tout refait du sol au plafond. On y a mis ce qu’on aime : une réalité twistée, un peu de décalage et un fort parti-pris artistique. Le tout rendu possible avec des talents qu’on affectionne tout particulièrement : Suzie &Léo.
Tu fais quelque chose en parallèle de ton métier, des projets ?
J’adorerais dire que je crée des poteries à partir de bouchons recyclés, que je suis sur un projet de fringues responsables ou que j’ai un talent fou pour la photographie …
La vérité ? Je cuisine, je bois du vin et je projette d’acheter un SUV confort pour mes 2 kids.
Quel est ton meilleur et pire souvenir ?
Le meilleur : Pour Belmond, on s’est retrouvé dans une soirée VIP improbable à bord du Venice Orient-Express, à diner 3 étoiles à côté de Dita Von Teese, puis à enchaîner les cosmopolitans avec notre client, à danser sur les banquettes centenaires jusqu’au petit matin avant de dormir au Cipriani à Venise… Tout cela pour tomber les scènes manquantes du script.
Le pire ? Un tournage à Stain, à filmer une goutte de café au ralenti, la motion control qui tombe en panne à 3H du mat, un clap de fin à 7H, pile à temps pour rentrer et se retrouver coincée dans les embouteillages du matin.
C’est qui ta génération de créas, ceux avec qui tu as grandi ?
Léa Rissling, ma DA. On est issues du même moule, on partage nos journées et notre cerveau. Et pourtant, elle arrive encore à me bluffer chaque jour.
Quelles sont les pubs que tu préfères, tes classiques (avec les refs stp) ?
Je partage les mêmes classiques que la majorité des créatifs, de Nike à Levi’s . Mais si on se concentre sur le luxe, je dirais qu’au-delà d’un print ou d’un film, ce sont maintenant les territoires créatifs qui me fascinent.
Je pense à Hermès, qui a créé un univers d’une poésie folle, avec un ton et une cohérence qui traversent les années. Leurs mots, rares et précieux, me touchent beaucoup.
Plus récemment, impossible de passer à côté de Gucci. Je trouve leur travail incroyable tant sur la qualité, la créativité et le volume. Ils ont un territoire infini et infiniment propriétaire, inspirant, surprenant et audacieux. J’adore leur second degré, leur décalage. Seul souci : ils produisent tant qu’ils préemptent toutes les bonnes idées.
J’ai aussi eu un petit coup de cœur pour le H&M Fall 2018, du pur divertissement. Ça fait du bien.
Et parce qu’on peut travailler dans le luxe et être publicitaire : Mr Wind
Parce qu’on a aussi de l’humour :
Dads in briefs
Tu as des modèles de créatifs dans la publicité ou en dehors, des gens qui t’inspirent ?
Ceux qui m’inspirent sont nombreux, mais on va dire que j’ai un faible pour les talents qui flirtent avec l’imaginaire, qui font glisser la réalité pour la faire leur. Impossible de ne pas citer David Lynch et ses rêves étranges, Spike Jonze, qui manie les concepts avec virtuosité et poésie. Ou dans un tout autre genre Wes Anderson.
En bonne fan de série, je citerai également Damon Lindelof et Vince Gilligan.
Et n’oublions pas les écrivains. Leur style, la musicalité des mots, leur façon de faire exister un imaginaire à travers des mots est très inspirante. La claque pour moi a été Cormac McCarthy. Une écriture vive et dépouillée, poignante.
Tu vois quoi comme changement entre tes débuts et maintenant ?
Je disais justement hier à une amie qu’il y a 10 ans, j’avais trois semaines pour tomber une campagne print de 3 visuels avec un word rempli de signatures frenchy.
Aujourd’hui, on une semaine pour tomber la « big idea » d’une campagne inter et la décliner sur tous les touchpoints, en full english svp.
Tout s’est accéléré, et à la fois, de nouveaux mondes se sont ouverts. C’est passionnant.
Tu peux envoyer un mail au toi de 60 ans, tu lui dis quoi ?
« Coucou toi, j’espère que tu n’as pas cédé à la chirurgie esthétique et au botox. »
Un conseil pour réussir dans ce métier ?
Ne pas chercher à réussir, mais chercher à s’amuser. On a la chance de faire un métier passionnant, de rencontrer des talents incroyables… Rien ne m’énerve plus que des jeunes créatifs qui pensent comme des fonctionnaires, avec dans leur cahier des colonnes « contraintes » et des « TO DO ». Comme on dit souvent, « on ne sauve pas des vies ». Alors amusez-vous, prenez des risques. De toute façon, dans 10 ans, vous serez certainement prof de yoga.