Bonjour Matthieu, tu es CR/DC chez CLM BBDO, quel a été ton parcours ?
J’ai passé mon bac pour faire plaisir à mes parents puis j’ai enchainé sur un DEUG d’économie que je n’ai pas terminé, je m’ennuyais trop, j’ai préféré arrêter avant la fin de la seconde année.
Depuis combien d’années travailles tu dans le milieu de la publicité ?
Depuis une dizaine d’années. Je ne sais plus si j’ai commencé en 2000 ou en 2001.
Ton premier stage a été chez bddp tbwa ? Avec embauche à la suite ? Et il s’est passé quoi jusqu’a DDB ?
J’ai fait mon premier stage chez Publicis Etoile, ex Publicis Dialog, j’avais 18 ou 19 ans. C’est mon père qui m’avait pistonné. Je voulais tester mon envie de faire de la publicité et le résultat fut convaincant. Je me souviens même avoir été sur une compétition pour Jet Tour. J’avais fait la création en sous-marin avec un assistant DA. A l’époque j’étais hyper fier, notre campagne avait été validé par Maurice Levy en personne qui s’était chargé d’aller la présenter. Je crois que les séniors de l’agence ont tiré un peu la gueule. Mais bon, franchement, c’était de la daube. D’ailleurs le budget n’est pas rentré. Après avoir décliné une proposition d’embauche chez Publicis je suis retourné à mon DEUG d’éco.
Cette année là j’habitais dans un studio dans le Marais et je me suis fait cambrioler. Mes voisins de palier, deux colocataires, m’ont alors gentiment invité à boire un verre. Et il s’avère que les deux gars travaillaient dans la pub. L’un d’eux, Olivier Peyre, était assistant DA chez BDDP&Fils, l’agence du moment. J’avais prévu de faire mon second stage chez Jean & Montmarin mais Olivier m’a dit qu’il en était hors de question, que je devais rencontrer Bruno Delhomme. Le rendez-vous avec Bruno s’étant bien passé, je suis rentré en stage chez BDDP&Fils et j’ai découvert la vraie publicité, conceptuelle, exigeante, créative, dans une ambiance familiale franchement grisante.
C’est à l’issue de ce stage que j’ai décidé d’arrêter mes études. Je me suis fait embaucher chez BDDP@TBWA par Eric Galmard pour travailler en team avec un assistant DA, Emmanuel Bougnères. Moins d’un an plus tard Eric est parti, remplacé par un autre Erik, beaucoup plus belge. Là ce fut un peu comme-ci je rentrais en classe préparatoire aux grandes écoles. J’en ai bavé. Mais j’ai énormément progressé et j’ai commencé à sortir quelques bons boulots remarqués pour Playstation, Amnesty International, Aides…
Au bout de quasiment trois ans de bons et loyaux services, mon DA et moi nous sommes séparés. Emmanuel n’en pouvait plus, il avait besoin d’air, il est parti bosser en Nouvelle Zélande. Pour ma part je n’adhérais plus vraiment aux méthodes d’Erik et à sa vision de la publicité, je recherchais à faire de la création plus conceptuelle, plus raffinée, plus anglaise. C’est à ce moment là que Pierrette Diaz, qui cherchait un rédacteur, m’a contacté pour bosser avec elle. J’observais attentivement le travail de DDB depuis que Thirache et Hervé en avait pris la Direction de Création. J’aimais beaucoup leur style et les marques sur lesquelles ils bossaient étaient pour le moins excitantes. Quelques mois plus tard j’étais chez DDB.
Puis en 2012 je change pour devenir Directeur de la Création chez CLM BBDO
Tu as de la famille des contacts proches qui travaillaient dans ce milieu avant d’y entrer ?
Mon père travaille depuis une trentaine d’années dans le groupe Publicis, mais dans la branche médias.
Tu as hésité a faire de la pub ? Qu’est ce qui t’as donné envie d’en faire ?
J’ai toujours été motivé par le besoin de m’amuser. Ce fut comme ça durant toute ma scolarité. J’ai d’ailleurs arrêté mes études dès l’instant où je ne me suis plus amusé, quand c’est devenu trop sérieux. Alors j’ai fait mon premier stage dans la pub. Pourquoi la pub? Parce que depuis tout petit je préférais la publicité au film qui suivait; parce que je savais que je n’étais pas obligé de m’habiller en costume pour aller travailler; parce que ça avait l’air créatif et amusant. Mon père m’a permis de rencontrer quelques concepteurs-rédacteurs qui m’ont expliqué leur métier et furent de très bon conseil, surtout pour éviter certains pièges.
Tu travaillais avec qui et sur quoi chez DDB ?
J’ai rejoint DDB en 2004 pour travailler avec Pierrette Diaz sous la Direction de Création d’Alexandre Hervé et Sylvain Thirache. On a connu cinq très belles années, on a travaillé sur des marques mythiques telles que Volkswagen ou Nike.
Pour des créatifs, plancher sur ces sujets est une chance incroyable. Mais le marché français est assez étriqué et nous avons eu envie de nous frotter à des grands comptes, plus difficiles, à dimension internationale. Quand on nous a proposé de prendre la Direction de Création de Lipton pour le marché européen et pour certains sujets globaux, on a voulu relever le défi. J’ai toujours pensé que c’est à grand coup de challenge qu’on avance, qu’on apprend, qu’on grandit. Il faut savoir prendre des risques dans notre métier, flirter avec notre zone d’inconfort, se remettre en question. Et surtout il faut savoir tout faire: être capable de gagner un Lion en poster sur Nike comme savoir produire un gros film international pour un soft drink ou développer un site web conceptuel pour le lancement d’une nouvelle gamme de thé.
Cela fait deux ans qu’on fait ça à présent. On gère une équipe de huit créatifs à Paris, on organise des workshops à l’étranger, on apprend énormément, c’est très enrichissant mais incroyablement fatiguant. Les process sont extrêmement longs et c’est l’inertie qui finit toujours par l’emporter. C’est dommage car il y a de très belles choses à faire, surtout en digital, en activation. Mais bon, on reste force de proposition, on essaye de ne rien lâcher. Sinon, pour s’aérer la tête on prend une compétition de temps en temps. On vient de remporter Honda Moto France il y a peu. On est très content car c’est une grande marque et il y aura certainement de quoi développer de la très bonne création dans les mois à venir.
Parles nous de deux trois choses que tu as faites en pub qui t’ont marquées
Evidemment il y a les quelques campagnes Volkswagen, très conceptuelles et multi primées. Il y a les campagnes Nike, beaucoup plus graphiques, qui demandaient une véritable réflexion en terme de direction artistique, un exercice très intéressant pour un rédacteur.
Mais je pense que le boulot qui m’a le plus marqué en fin de compte c’est le travail qu’on a fait sur Tiji il y a deux ou trois ans. C’était génial d’écrire et produire un dessin-animé. A l’époque nous avions bossé très étroitement avec Yoann Lemoine, déjà sacrément talentueux, Clément Terry, jeune compositeur de musique de film et ami, c’était une très bonne expérience. Chaque jours je me disais: « C’est génial je suis en train de faire un dessin-animé, un jour je pourrai montrer ça à mes enfants. ». Et puis le film a beaucoup plu et, cerise sur le gâteau, a remporté quelques belles récompenses dans les concours publicitaires et les festivals de film d’animation.
Tu fais quelque chose en parallèle de ton métier, des passions ?
J’essaye surtout de ne pas laisser mon métier prendre toute la place. Je préserve au maximum ma vie privée, je prends du temps pour ma compagne, pour mes amis, pour faire la fête et m’amuser. Je suis un curieux de nature donc j’aime faire des expos, aller au cinéma, au théatre, voir de la danse, faire des concerts. J’ai une affection particulière pour le Cirque contemporain. C’est à voir absolument. Il y a des choses magnifiques, drôles, poétiques. C’est au croisement de l’acrobatie, de la danse, du théatre, de la musique. Il n’y a pas plus complet.
Sinon ma véritable passion, c’est l’escalade. Je grimpe depuis plus de quinze ans. C’est une excellente discipline, autant d’un point de vue mental que physique. Ça me vide la tête après mes longues journées en apnée dans ma tasse de thé.
Du coup tu es complètement sorti du cadre du CR pour le DC ou tu continues à produire en tant que CR ?
Le boulot de DC est certes différent de celui de Concepteur-Rédacteur: il y a beaucoup de management, de réunions en tous genres, un gros travail auprès du client, surtout sur des sujets lourds comme Lipton. Mais ce que j’aime par dessus-tout, c’est être « en cuisine », m’assoir autour d’une table avec les équipes (ou me vautrer sur un canapé dans leur bureau) et prendre le temps nécessaire pour faire émerger de belles idées dont on peut tous être fiers. Même sur des sujets difficiles, même quand on sait qu’il y a une chance sur mille pour que ça voit le jour, il faut être fier de ce qu’on présente, c’est le seul moyen d’être convaincant face à un client, d’avoir envie de monter sur la table pour défendre un projet. Personne ne veut se battre pour vendre de la merde. Enfin, normalement.
Donc, j’ai encore pas mal les mains dans le cambouis, tant au niveau de la conception que de la réalisation. Avec Pierrette nous sommes plutôt interventionnistes mais dans une logique de partenariat avec nos équipes. On essaye de ne pas empiéter sur leur espace créatif, ce qui serait assez insupportable. C’est important que chacun trouve sa place et sache la tenir. En tant que DC je me considère comme un outil pour mes équipes, ni plus ni moins. Ils savent qu’ils peuvent se servir de moi autant que je me sert d’eux. J’essaye donc d’être le plus disponible et le plus à l’écoute possible.
Avant Pierrette avec quel DA as tu fricoté ?
Mon premier DA fut Emmanuel Bougnères chez BBDP@TBWA. Je me suis rarement autant marré en travaillant.
On s’est extrêmement bien entendu, et c’est toujours le cas. C’est devenu un vrai pote. Il est parti bosser en Nouvelle Zélande pendant cinq ans, il a fait une très belle carrière là-bas, il a bossé avec des mecs incroyables. Il est rentré en France il y a un peu plus d’un an et travaille chez Ogilvy avec Chris Garbutt. Pour l’anecdote on a même gagné un lion d’or alors qu’on était séparé. C’était pour une opération contre les mines anti-personnelles. Un truc assez dur mais très efficace. Impossible à l’époque de le faire en France, les associations trouvaient ça trop radical. Alors Emmanuel l’a développé en Nouvelle Zélande où les associations ont trouvé ça génial. La campagne fut un succès, on a même eu le droit à la une du plus grand quotidien national.
Puis, juste avant d’aller chez DDB, j’ai travaillé quelques mois avec un DA espagnol, Javier Rodriguez.
Un type très talentueux et tout autant sympathique. J’accorde une grande importance à bosser avec des gens sympas, c’est primordial. On fait un métier difficile, stressant, je n’ai aucune envie de me coltiner des connards à longueur de journée, aussi talentueux puissent-ils êtres.
Puis j’ai rencontré Pierrette, dont j’admirais énormément le travail. A mes yeux c’était une des plus grandes DA de la place et c’est toujours le cas. Alors qu’elle aurait pu travailler avec des rédacteurs bien plus expérimentés à l’époque, elle a eu l’audace de faire confiance à un jeune créatif de 24 ans. C’était courageux mais plutôt efficace. Ça fait sept ans que ça dure.
Dans ton métier quel est ton meilleur souvenir ?
Alexandre Hervé qui rentre dans notre bureau pour nous annoncer qu’on n’a pas un mais deux lions d’or sur Volkswagen. C’était mes premiers lions et on a beau dire, ça ne laisse pas indifférent.
et le pire ?
L’air grave qu’a pris Alexandre Hervé en rentrant dans notre bureau avant de nous annoncer qu’on n’avait pas un mais deux lions d’or sur Volkswagen.
le truc qui t’a fait le plus halluciner ? ce que tu pensais pas faire un jour ?
Un truc qui m’a vraiment fait halluciner dernièrement, c’est d’avoir réussi avec six autres créatifs de l’agence à monter un projet farfelu (Autarky project) et néanmoins très sérieux pour descendre au Festival de Cannes une semaine entière sans dépenser un euro. Et je peux t’assurer que jamais je n’avais pensé un jour devoir me promener dans la rue toute une semaine habillé en footballeur.
Quelle sont professionnellement les pubs qui t’ont le plus marquées, celle que tu aurais aimé faire ?
J’ai toujours aimé les campagnes intelligentes, celles où tu te dis que le créatif derrière l’idée doit avoir un cerveau mille fois plus développé que le tien. Souvent ce n’est pas le cas, c’est juste que le type en question a bossé mille fois plus que toi. J’ai une affection particulière pour la campagne presse Stella Artois « Reassuringly Expensive », Grand Prix à Cannes en 2000. D’abord parce qu’elle est sublime, pure et qu’elle repose sur un très bon insight. Ensuite parce qu’on se plaint toujours en France qu’il est impossible de faire une bonne campagne pour une marque d’alcool à cause de la Loi Evin. Et bien, à son insu, cette campagne respecte parfaitement la loi Evin. Elle aurait pu sortir en France.
Sinon j’aurais aimé faire toutes les campagnes qui provoquent en moi ce petit sentiment de jalousie qui te met un grand coup de pied au cul.
Tu as des modèles de créas dans la publicité ? des gens qui t’inspire ? pourquoi ?
Il y a beaucoup de gens que je respecte dans l’industrie de la publicité, pour leur carrière, leur audace et leur talent. Des Bill Bernbach, John Hegarty, ou David Droga sont de vrais visionnaires, ils ont fait ou font encore avancer le métier. Plus proche de nous je pense à Jean-Marie Dru, Gabriel Gaultier, Rémi Babinet qui sont éminemment respectables. Ce sont de vrais publicitaires, qui construisent des marques, qui prennent leur travail au sérieux, qui le font avec passion. Mais tous ces gens ne sont pas des sources d’inspiration. Je suis plus inspiré par des rencontres, des voyages, mes amis. On tourne assez vite en rond dans la publicité. On croise toujours les même personnes, il y a très peu de turn over et je trouve qu’on ne s’amuse plus beaucoup dans les agences, ce qui est assez dommage. J’adore la publicité en tant que métier mais pour être très honnête c’est un milieu dans lequel je ne me sens pas à l’aise.
Avec qui aimerais-tu travailler (créa réal photographe etc) ?
Honnêtement je n’en sais rien. Il y a tellement de gens talentueux. Ce que j’aime par dessus tout, c’est travailler avec des personnes investies, humbles, motivées et passionnées, qu’elles soient célèbres ou inconnues. Mais idéalement, si j’avais le choix, j’aimerais travailler exclusivement avec des potes.
Si tu commençais la pub aujourd’hui, tu irais ou ?
Indéniablement vers l’Australie et la Nouvelle Zélande. Ce sont des marchés jeunes, influencés par l’Asie, très peu plombés par la législation. Ils réfléchissent de manière différente, beaucoup plus fraîche. J’ai travaillé récemment avec des équipes australiennes et néo-zélandaises, j’étais bluffé. Attention, ils ne sont pas plus talentueux que les créatifs d’ici. En revanche leur approche est tout autre. On sent qu’ils s’amusent, qu’ils ne s’interdisent rien, que tout est possible. Ils recherchent les opérations les plus originales, les plus fraiches, qui font des RP.
Tu vois quoi comme changement entre tes débuts et maintenant ? et tu penses que le milieu va évoluer de quelle manière ?
Le plus grand changement entre mes débuts et maintenant c’est le temps de chargement d’une page internet.
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