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En relisant les premiers bouquins du Club des Directeurs Artistiques je voyais souvent revenir un nom : Kolebka.
Je ne l’avais jamais entendu et pourtant j’interview des publicitaires depuis 15 ans. J’ai regardé sur le site des archives du club des DA et à son nom il y a 12 pages de créas, 227 projets…

Alors je me suis dit « et si je le rencontrais ? » il doit être assez agé, rien ne nous relie, il n’a pas de réseaux sociaux, de mail publique ou de contacts en commun. Alors comment faire ?

Sur Google, Georges est cité en auteur de nouvelles, alors j’ai contacté une des maisons d’édition. Au téléphone, l’éditeur lyonnais cherche dans sa mémoire…il pense qu’il est décédé, sa derniere adresse connue sur une facture serait dans le 16e arr. de Paris. J’appelle les commerces au pied de cet immeuble, mais aucune info utile.

On cherche un homme au nom assez rare en France, ‘Kolebka‘, en polonais ça veut dire ‘berçeau’ .
Sur linkedin je n’ai trouvé qu’une seule personne : Héloïse Kolebka, apparament Rédac’ Chef au magazine L’Histoire.
Après avoir envoyé un mail, appelé 3 fois le standart, contacté le CM du mag sur twitter et facebook, j’ai fini par avoir eu un retour de cette ‘Héloïse’, elle m’appelle.
C’est la fille de Georges.
Et Il est vivant.

Je prends rdv avec elle pour discuter de mon projet d’interview, elle m’explqiue que Georges est fatigué (il a 88 ans) et parfois ses souvenirs récents s’évaporent, moi je cherche loin, les débuts de la pub française, les années 50. On se retrouve un dimanche après-midi début octobre 2024, chez eux, porte d’Auteuil :

Georges : Ah, c’est une longue histoire… Ça remonte loin, c’étai dans les années cinquante, après mon service militaire, J’avais un peu plus de vingt ans.

Georges : Oui et, il fallait bien que je trouve du travail pour subvenir à mes besoins. Au début, j’ai pris quelques boulots ici et là, de la manutention surtout. C’était assez brut et sans grand intérêt, mais ça m’a permis d’apprendre. Mon frère aîné, m’a beaucoup encouragé. Il voulait que je m’en sorte même si je n’avais pas de diplômes.

Georges : Oui, mais j’ai pu avancer petit à petit. C’est comme ça que j’ai commencé dans divers petits boulots, dans le quartier du Sentier à Paris, où l’on trouvait du travail dans le textile. Ce n’était pas une voie toute tracée, mais j’ai beaucoup appris.

Mes parents étaient commerçants. Ma mère tenait une épicerie, et mon père avait été blessé pendant 2nd Guerre Mondiale. Durant les années de guerre, comme beaucoup de familles juives, on a dû se cacher pour survivre. On a trouvé refuge à la campagne. C’étaient des années très difficiles, mais ça m’a forgé et la vie a continué.

Puis adulte, vint la guerre d’Algérie. J’ai passé deux ans près de Constantine. J’étais chargé de distribuer des munitions aux soldats, un rôle de soutien logistique. Certains rentraient en France un an plus tôt, mais moi, j’ai du rester jusqu’au bout.

Oui, je suis allé à Fontainebleau pour passer le concours de sous-lieutenant. Je ne l’ai pas réussi, mais j’avais la chance de pouvoir rentrer chez moi tous les soirs à Paris, ma mère m’attendait avec le dîner. Après l’armée, j’étais un peu perdu, à errer. J’avais quelques copains, mais je ne savais pas trop quoi faire de ma vie.

Oui, il fallait que je trouve un vrai boulot, ça n’a pas été facile. J’ai fait des petits boulots ici et là, des missions temporaires.
J’avais un ami d’enfance, Dietrich, qui travaillait dans le textile, les tricots. Je suis resté un ou deux ans à l’aider. Là-bas j’ai rencontré un dessinateur, qu’on appelerait “graphiste” aujourd’hui, mais à l’époque, c’était un “dessinateur”.

Oui, j’avais une amie, Le Foll, qui m’a introduit dans ce monde. J’allais la voir, et c’est là que j’ai commencé à fréquenter son frère, Alain, et d’autres artistes. J’ai commencé à dessiner, à lire beaucoup – des auteurs comme Henri Michaux et Raymond Queneau. C’était inspirant sur ce qu’étais écrire. Peu à peu, cela m’a mené dans le milieu de la publicité.

Georges : Oui, une agenceminuscule, Sodico, puis La SNIP. C’était à l’époque où la publicité commençait à se faire la radio. C’était tout nouveau, on peignait des panneaux, on écrivait des slogans, c’était le début d’une tout autre aventure. À l’époque la pub existait pas vraiment c’était un peu de la merde, de la “réclame” bon marché..

C’est en découvrant cette agence de publicité que j’ai commencé à comprendre la pub. Il y avait un directeur artistique, Jacques de Pindray, le patron, qui poussait à reflechir. C’est aussi là que j’ai découvert la publicité américaine.

Un peu avant, je dirais… 58. Et à la SNIP, ils avaient des moyens, ils appartenaient au groupe de la Lainière de Roubaix. Ils avaient nommé un directeur artistique, Jacques de Pindray, et moi, j’avais un pied dedans parce que je connaissais Le Foll. Je me croyais un peu poète, donc on écrivait pour s’amuser. C’est comme ça qu’on a commencé à créer des textes pour des marques de laine et d’autres produits du quotidien.

Oui, il a suggéré à son patron de prendre un rédacteur. J’ai montré quelques textes, inspirés de ce que faisaient les Américains. Je me suis dit : « Pourquoi je ne pourrais pas faire pareil ? » Et j’ai commencé à écrire des textes pour des produits simples comme du savon, des casseroles… de petites annonces. Pindray a trouvé ça amusant, et il m’a engagé dans leur studio.

Oui, j’avais un petit bureau avec une machine à écrire, et créais des annonces. Ça a duré deux ou trois ans, je dirais. ‘La Lainière’ investissait beaucoup dans la publicité pour toutes leurs marques et produits ménagers.

Oui, puis j’ai rencontré ma femme, on s’est mariés en 1962. J’y suis resté cinq ou six ans. Mais à cette époque, ils travaillaient aussi avec des industries de lainage allemandes, ils avaient des sous-marques… C’était un gros marché.

Ensuite en 1965 je suis parti chez Publicis. J’ai eu l’occasion de travailler avec Marcel Bleustein-Blanchet et plein d’autres, sur des grandes campagnes pour des marques comme Lip. Publicis faisait de la publicité pour tout le monde, sans affiliation à une entreprise précise. J’ai travaillé dans une équipe avec un DA, un grand nom de la mode et du design.

Après Publicis, je suis passé dans d’autres agences, comme J.Walter Thompson, Mc Cann, Delpire, Alice, Dupuy Compton, Ted Bates…chaque agences avait son propre style et ses spécificités. J’y restais 3 ou 4 ans à chaque fois. Les rédacteurs étaient recherchés, et on se faisait beaucoup solliciter.

Oui, on l’a créé en 1988, dans le groupe Ted Bates. ‘Dimanche’ c’était avec Corinne Pinoncely, qui s’occupait du commercial, ça marchait bien, il y avait beaucoup d’argent dans la pub, tout le monde travaillait.



Après. Il y a eu une période avec Euro RSCG qui a fini par racheter ‘Dimanche’, en 94.

Une campagne chic, faite avec Michel Coudeyre. L’accroche était : « Rémy Martin est plus cher qu’un simple cognac. Si vous ne faites pas de différence avec un autre cognac, mieux vaut acheter un autre cognac. »

Et j’ai aussi travaillé avec Jacques Vauchelle sur les campagnes du Club Med.

Oui, on a fait plusieurs séries pour le Club Med. Je crois que j’y ai travaillé trois saisons.

Ah, non, moi je ne partais jamais. C’était plutôt le directeur artistique, Jacques Vauchelle, qui partait faire les shootings. Moi, je restais à Paris, à attendre les photos.

Pas spécialement. Je préférais rester concentré sur la création ici.

Dans les 23 premiers bouquins du club, Georges apparait...21 fois pour 276 annonces…

De temps en temps, oui. Le slogan ‘Un Ricard sinon rien!’ par exemple. (mais je n’ai pas été crédité héhé)

Oui, dans l’agence, c’était vraiment chouette, ça ! c’était au début des années 70. Puis les choses ont commencé à se corser dans les années 80, avec la tension qui augmentaient. C’est devenu trop sérieux, surtout avec les briefs. Il fallait refaire, et encore refaire, avec des gros dossiers qui servaient de brief.
Mais ça a changé, et de plus en plus de jeunes arrivaient dans ce secteur.
Moi j’avais 60 ans, donc je suis parti à la retraite, peut-être le 1er retraité de la pub. (pis les autres sont tous morts)

C’était devenu très difficile. La pression était énorme, et les commerciaux prenaient trop de place.
Ils suivaient des cours après avoir fait HEC, donc ils pensaient tout savoir, et parfois se mêlaient de tout. C’était fréquent qu’ils veuillent tout contrôler, au point d’être presque chef de pub, directeur artistique et rédacteur à la fois. C’était souvent une lutte pour imposer nos idées.

Les créatifs sont maintenant dans une catégorie où la création n’a plus la même liberté. Ce qu’on faisait, ça a disparu. Les créatifs comme les commerciaux sont maintenant beaucoup plus controlés.
Les commerciaux d’aujourd’hui sont beaucoup plus informés. Ils savent bien mieux ce qu’est la création qu’avant, à une époque ils ne connaissaient rien. Beaucoup sortaient de grandes écoles de commerce, mais pas forcément dans des domaines liés à la publicité.
Ils savent comment faire un plan de communication, les sondages… tout ça. On ne soumettait pas tout à des tests de marché ou des panles pour savoir dans quel sens aller.

À la retraite, je me suis mis à écrire. Mais c’était plus ‘une prétention’ de ma part.

La plupart du temps, ce sont des nouvelles, ou des textes courts. Une dizaine.
Ensuite, j’ai écrit plusieurs livres pour enfants.