Bonjour Antonin, quel a été ton parcours étudiant/pro, Tu viens d’où ?
Hello, je viens de Belfort, une ville tout à l’est de la France, pas trop loin de la Suisse.
Là d’où je viens, on n’imagine pas que “créa dans la pub” puisse être un métier et il a fallu pas mal d’heureux hasards pour que je me retrouve là où je suis aujourd’hui.
J’ai fait des études plus ou moins chaotiques, je suis passé par la fac de socio à Strasbourg puis éco. Ensuite, je suis parti à Londres 1 an, où j’ai fait quelques petits boulots. En fin d’année, j’ai rencontré un gars qui faisait une école de com à Lille, l’ISTC, ça m’a donné envie de tenter le concours. Et puis 1 an plus tard, lorsque j’ai fait mon 1ᵉʳ stage, en tant que commercial chez DDB Lille, j’ai découvert que créa ça pouvait être un vrai métier, s’allonger dans un canap, chercher le bon mot, la bonne vanne, le bon concept, et être payé pour ça ! À partir de ce moment-là, il me restait 2 semaines pour préparer un dossier pour sup de créa à Roubaix.
Dès l’école, j’ai tout de suite compris que j’avais enfin trouvé un truc qui allait me plaire et pour la première fois, je me suis investi dans quelque chose.
Quand ce métier me saoule ou m’ennuie, c’est pas mal de se rappeler qu’à l’époque, je n’aurais jamais espéré être là où je suis arrivé aujourd’hui. (Merci pour l’interview, ça me permet de me le rappeler)
J’ai fait un stage chez Tequila qui était l’agence web de TBWA et puis un stage chez DDB avec Benjamin Marchal et Olivier Lefebvre en maîtres de stage. Au bout de la 2ᵉ année d’étude, notre jury de fin d’année, Emmanuel Lalleve et Florent Imbert, m’ont pris en CDI chez Publicis Conseil.
Et enfin, la plus belle rencontre, ce fut avec Anne de Maupeou. Je me suis retrouvé à bosser sur un film Coca : Conseil et Marcel était sur le projet. C’est notre script qui a été acheté, Conseil a gagné, mais Anne m’a piqué à Conseil et m’a embauché chez Marcel.
À partir de là, je suis entré dans le grand bain de la publicité “créative”. J’ai tout de suite aimé cette ambiance chaotique où on n’est pas pris pour un fou parce qu’on débarque avec des idées bizarres, voire parfois à côté de la plaque. On a tout le temps été encouragé à sortir des sentiers battus. Et du coup, je ne suis jamais parti de chez Marcel.
Depuis combien d’années travailles-tu ?
14 ans. J’ai signé mon 1er CDI chez Publicis Conseil en mars 2010. Et même si j’ai été transféré assez vite chez Marcel, j’ai quand même 14 ans d’ancienneté dans le groupe Publicis. Autant dire que je n’ai pas une vision très éclectique des agences parisiennes.
As-tu hésité à faire de la pub, tu aurais fait quoi à la place ?
Au lycée, je voulais trouver un métier qui me prenne le moins de temps possible pour pouvoir avoir une vie à côté. Je voulais être prof d’éco. Désolé pour le cliché sur les profs. Ça va, j’imagine qu’ils ne doivent pas être très nombreux à lire ce blog.
Tu es ‘fan’ de quoi ?
Depuis tout petit, je suis fan de BD. C’était la passion de mon grand frère et moi, je m’incrustais dans sa chambre pour lui en voler. Même si j’étais un enfant, je lisais des trucs de grands, genre l’INCAL où les chroniques de la Lune noire. Ça ne m’a jamais lâché, même si heureusement, j’ai fini par m’ouvrir à d’autres genres que la SF et l’heroic fantasy.
Et puis, il y a le jeu de rôle que je pratique aussi depuis tout petit.
Aujourd’hui encore, j’ai mon groupe de Jdr dont la majorité des membres sont des créas chez Marcel. Et c’est comme ça qu’aujourd’hui encore, on se retrouve le samedi soir entre darons de 40 piges à jouer des elfes, des nains et des mages. Et c’est toujours un gros kiff.
Tu fais quelque chose en parallèle de ton métier, des projets ?
C’est sûrement un peu tôt pour en parler, mais je commence à écrire pour de la BD.
En tout cas, pour tous les créas qui se sentent un peu trop en confiance, je vous conseille vivement de vous retrouver en atelier d’écriture avec de vrais auteurs et scénaristes. Tu te prends un petit shoot d’humilité bien salutaire.
Tu as travaillé sur quels budgets, avec qui ?
J’ai travaillé sur à peu près tous les budgets de l’agence. Je ne sais pas si ce serait très intéressant de te faire la liste.
J’ai commencé le métier avec Philippe d’Orgeville. Un super DA et un super illustrateur. Il est vite remonté dans le nord après son expérience parisienne. Ce que je peux comprendre, Paris, les 1ʳᵉˢ années, quand on est payé trois clopinettes et qu’on bosse h24, c’est chaud.
Et puis Anne m’a mis en team avec Souen Levan. C’est la période la plus créative de ma carrière. On était un peu le bureau R&D de la pub. Poèmes, long métrage, pubs ultra-perchées… On se permettait tout et n’importe quoi. Résultat, plein de super projets qui ne sont jamais sortis 🙂 On a quand même fini sur “Sugar Detox” qui m’a permis de gagner mes premiers Lions.
Après, j’ai fait venir Clément Séchet de chez Buzzman. Je le connaissais parce qu’on était à Sup de créa ensemble. Là, on s’est remis sur les rails et le sérieux a payé, on a sorti des projets qui ont vraiment cartonné.
Après ça, j’ai bossé avec différents DA de l’agence, c’était assez cool de bosser avec plein de gens différents.
Et enfin, désolé, je n’ai pas une vie de team très stable, Vincent Teffene. Un jeune DA hyper talentueux. Je fais l’expérience d’une relation à distance, car il est en 100% TT à Marseille, et franchement ça fonctionne très bien. (Mais parfois, il vient quand même dormir chez moi <3 )
Je ne vais pas trop parler de ses qualités, sinon d’autres agences vont le débaucher !
Parle-nous de 2-3 choses que tu as faites :
Pas dans l’ordre :
Les paralympiques pour Orange :
Black supermarket pour Carrefour :
Les bleues pour Orange :
Souvenirs de Paris pour le Centre Pompidou :
Pas Paris pour Transavia :
SugarDetox pour Intermarché :
Et je vais quand même montrer de quoi est fait mon quotidien parce que clairement, je ne passe pas mes journée à bosser pour des awards :
Ça t’a fait quoi de gagner un Grand Prix à Cannes ?
Et 4 ?
Les prix de manière générale, c’est génial sur le moment et c’est surtout génial pour ce que ça apporte après.
Maintenant quand je dis “Faites moi confiance” il arrive un truc complètement inédit : on me fait confiance.
Bref, grâce aux prix je suis plus sûr de moi et de mes goûts.
Aujourd’hui je peux dire que certains de mes grands prix ne sont pas forcément mes projets préférés. D’ailleurs, il y a plein de pubs pas primées dont je suis fan.
Enfin, pour ce qui est des grands prix spécifiquement, je fais en sorte de m’en détacher, histoire de ne pas trop me mettre la pression. Ça devient un truc d’agence. C’est une joie collective. Et c’est très bien comme ça.
Quel est ton meilleur et pire souvenir ?
Mes meilleurs souvenirs, c’est quand on se retrouve à faire les choses nous-mêmes.
Par exemple, sur Pompidou, on s’est retrouvé en studio avec un pote de lycée, David Makima, qui a fait la musique du projet. Et nous les créas on est passé en cabine à tour de rôle pour crier Pompidou dans le micro. Tout ça pour créer une bande son Dubstep. J’ai aussi fait la voix-off du case study en anglais, j’ai à peine forcé l’accent 😉
Pareil sur « les bleues », quand Xavier Leboulanger, qui est DC et aussi acteur à ses heures perdues, se retrouve à faire le commentateur de foot.
Quand je découvre le taf de Vincent Teffene, mon DA, qui a passé la nuit à faire lui-même le montage des Bleues.
En fait, mes moments préférés, c’est quand on crée en petit comité, quand tu te marres entre potes et que tu commences à capter que peut-être tu es en train de faire un truc vraiment cool.
Après, lorsque ça sort, que tu as les retombées médias, puis les prix, ça devient autre chose. C’est bien aussi, mais ce n’est pas la même excitation.
Mon pire souvenir, je crois que c’est à mes débuts, j’ai bossé pour un client qui m’a donné envie d’arrêter la pub. Avec mon DA Philippe, on s’est retrouvé à contre-coller la même affiche, imprimée au traceur, avec 18 typos différentes. Donc 18 fois la même affiche en format A3 avec 18 typos différentes, pour que la cliente puisse faire son choix. On a fini à 2 h du mat. On bossait très régulièrement dans le vide pour satisfaire ce client. À ce moment-là, je trouvais que mon métier ne ressemblait en rien à ce qu’on nous avait fait miroiter à l’école. Pour moi, il était vide de sens et n’avait rien de créatif. Heureusement, j’ai l’impression que les choses ont beaucoup évolué. En tout cas, je crois que c’est le cas chez Marcel, les jeunes ne sont plus traités comme de la chair à canon.
Ce serait bien aussi que les seniors et DC qui ont tous subi la même chose, voire pire, arrêtent de se dire : “J’en ai chié quand j’ai commencé, c’est normal que les jeunes d’aujourd’hui en chient aussi”.
C’est qui ta génération de créas, ceux avec qui tu as grandi ?
Comme je te l’ai dit plus haut, je n’ai pas connu beaucoup d’agences. Donc les créas dont j’ai croisé la route sont tous passés par Marcel.
Il y a Jules Jolly et François Guyomard qui sont aujourd’hui plus des amis que des collègues. Il y a Virgile Lassalle avec qui je partage mon bureau, c’est quand même pratique d’avoir un rédac de ce niveau juste en face de moi quand j’ai besoin d’un coup de main. Et puis il y a Youri et Gaëtan, qui étaient chez Marcel avant même les meubles, c’est l’âme de Marcel. C’est donc en toute logique qu’ils ont récupéré les clés de l’agence.
Enfin il y a Dimitri Guerassimov et Fabien Teichner. C’est vraiment les DC qui m’ont formé à mes débuts chez Marcel.
Quelles sont les pubs que tu préfères, tes classiques ?
J’aime bien les trucs que je n’ai jamais été capable de sortir. Des pubs hyper provocantes et complètement barrées. (J’aimerais bien que certains clients se disent qu’ils ne sont pas obligés d’avoir un message positif avec des valeurs morales bien comme il faut pour que les gens aiment leur marque.)
Genre ça :
ça :
ou ça :
http://www.culturepub.fr/videos/de-morgen-fouille-anale/
Bien-sûr les pubs Thaïlandaises, je mets celle-là, mais ç’aurait pu en être 10 autres.
On dirait qu’ils n’ont aucune contrainte, c’est génial.
Après, je sais que tout le monde les connait, mais je dois citer les 2 ours français, Tipp-ex et Canal+, c’est typiquement le genre de créations qui m’ont donné envie de faire ce métier quand je débutais, et pour le coup, ce sont pas des trucs américains ou thaïlandais. Quand j’ai vu ça, je me suis dit : “peut-être qu’un jour, je pourrais moi aussi sortir des pubs comme ça.”
J’adore aussi cette pub, c’est brillant et complètement con à la fois.
Tu as des modèles de créatifs dans la publicité ou en dehors, des gens qui t’inspirent ?
J’avais des modèles quand j’étais étudiant. Et la pub qui me faisait rêver à ce moment-là, c’était l’agence TBWA sous la direction d’Erik Vervroegen. Le niveau de craft pour les pubs playstation, on n’a jamais fait mieux depuis. J’aurais pu les afficher dans ma chambre. J’imagine mal comment aujourd’hui, on pourrait s’investir autant dans du print, jamais on ne nous laisserait autant de temps.
Après il y a eu Anne de Maupeou forcément. Ce que j’admire chez elle, c’est son côté caméléon. Elle a traversé toutes les tendances de la pub en étant toujours la meilleure. Je crois que c’est parce qu’elle a toujours douté d’elle-même, alors même qu’elle avait déjà tout prouvé.
Dans la BD, le cinéma et la pub, les personnes que j’admire le plus, ce sont les touche à tout. Par exemple Larcenet en BD, il peut enchaîner de la grosse blague potache dans fluide glacial et puis écrire et dessiner Blast, un chef-d’œuvre.
Tu vois quoi comme changement entre tes débuts et maintenant ?
Un des côtés négatifs, c’est qu’il y a moins d’argent. Pour la prod, pour les agences et fatalement pour les gens qui bossent dans la pub.
Dès qu’il y a le moindre enjeu, tout le monde est tétanisé par la peur, peur de perdre le budget, peur du bad buzz, peur de perdre son poste…
Personne n’ose plus quoi que ce soit, on fait des batteries de tests et on finit par sortir des campagnes moyennes, qui ne déplaisent à personne et qui n’impressionnent personne non plus.
En revanche, ça a amené une culture de la bricole qui nous laisse parfois le champ libre en création. La plupart de mes meilleurs projets, c’est parce qu’on bossait sur des budgets si petits qu’on nous laissait nous démerder dans notre coin. En gros, on pouvait se foirer, ça n’aurait pas eu de grosses conséquences, ni pour le client, ni pour l’agence.
Pour le positif, j’ai l’impression que le milieu de la pub est moins toxique qu’à une certaine époque. Le mouvement MeToo est passé par là, merci.
Les nouvelles générations aussi sont plus saines. Ils n’ont pas peur de nous envoyer chier.
Tu aurais des reco pour ‘réussir’ dans ce métier ?
Je peux te dire des trucs qui ont marché pour moi, mais ça ne veut pas dire que ça marchera pour tout le monde.
Sois un peu égoïste. On te demande de faire de la créa qui va plaire au client, qui va répondre à un brief, qui va correspondre à ce que ton DC attend de toi… C’est hyper dur de réfléchir en essayant de cocher toutes les cases. Essaie déjà de faire un truc qui te plait à toi. (Mais bon, en étant exigeant quand même.)
Ne travaille pas trop. Si tu n’as pas trouvé l’idée entre 14h et 19h, je t’assure que tu ne vas pas la trouver entre 19h et minuit. Rentre chez toi et peut-être que tu la trouveras le lendemain sous la douche.
Et enfin, va chercher ton inspiration ailleurs que dans la pub. T’as fait de la sociologie, sers-en-toi. Du jeu de rôle, sers-en-toi. Ou même des rites chamaniques. Peu importe ce que tu fais en dehors de la pub, si ça te permet d’apporter un nouveau truc, sers-en-toi.