INTRO
Il y a ceux qui ont les idées, et ceux qui les réalisent, parmi eux, il y a les illustrateurs.
Un monde à part, qui rencontre celui de la publicité pour créer des campagnes originales, parfois primées dans des catégories sur mesure. L’illustration comme moyen d’expression publicitaire soulève des questions auprès des annonceurs. Ce n’est ni le dessin libre des enfants, ni les peintures que l’on contemple au musée. C’est un art appliqué si vaste qu’il déborde dans d’autres cases. Certains illustrateurs vous diront qu’ils sont graphistes, des artistes au sens large ou de simples dessinateurs. C’est un univers que la publicité a complètement investi et pourtant qui lui est parfois complètement étranger. Il y a des maîtres, des mouvements et de nombreux salons.
Notre rôle en tant que DA est souvent de diriger l’illustrateur, mais aussi de filtrer les demandes clients. De protéger l’artiste, de savoir respecter le processus créatif de chacun. Mais eux, qu’en pensent-ils ?
– Jenna
Jenna Haugmard est DA, dans son agence, elle a travaillé avec des dizaines d’illustrateurs. Elle partage régulièrement ses coups de cœur sur le compte insta @he_lo_ilu. Elle est aussi illustratrice, juré illu au Club des DA et au D&AD. Bref, elle est bien placée pour aller à la rencontre de ces créatifs !
Bonjour Kévin LucBert ! tu peux te dessiner ?
Oui 🙂
Quel a été ton parcours ?
Je suis né à Paris en 1985. J’ai étudié aux Arts Décoratifs de Paris dans la section « image imprimée » : un département qui regroupe l’illustration, l’édition, le graphisme, la gravure et la sérigraphie. En 2008 j’ai obtenu mon diplôme. 2 ans auparavant j’avais fait une année Erasmus en Allemagne, à la Kunsthochschule de Berlin-Weissensee. Cet échange m’a tellement plu que j’ai fini par m’installer à Berlin, où je réside maintenant depuis environ dix ans.
En sortant des Arts Décos, j’ai travaillé quelques années à Paris, au sein d’une super agence de graphisme : « Robaglia Design« , qui faisait plusieurs projets de muséographie. En plus du graphisme, j’ai pu y travailler comme illustrateur sur des projets tels que « la Galerie des Enfants » du Muséum d’Histoire Naturelle. Dans ce cadre, j’ai eu la chance de pouvoir dessiner de nombreux cartels d’animaux. Par cette expérience j’ai réalisé que j’avais avant tout envie d’être dessinateur. Passionné depuis l’enfance par la bande-dessinée, j’ai aussi commencé à publier des cartoons, des planches de gags et des dessins de presse dans des magazines satiriques tels que Psykopat, Bakchich, et Fluide Glacial.
Les diverses applications et possibilités du dessin, sa dimension « couteau suisse » capable de s’adapter à toute sorte de supports et de projets, m’ont toujours fasciné. Intéressé aussi par le dessin contemporain, j’ai commencé à créer des séries d’images plus personnelles réalisées uniquement au stylo à bille, comme la série « Blue Lines », qui perdure encore aujourd’hui.
Plus jeune, tu étais fan de quel/le illustrateur/trice?
J’étais surtout fan de BD. Mes parents, passionnés, ont toujours eu une belle collection de classiques franco-belges que j’ai lu et relu un grande nombre de fois. Je dévorais aussi les magazines PIF et Spirou. Par la suite, j’ai découvert d’autres bandes-dessinées plus alternatives, notamment grâce à une collection de magazines « A Suivre ». Il y avait des auteurs comme Moebius, Fred, Roland Topor, F’murrr, Hugo Pratt (que j’adore !).
Mais aussi Tardi, Jodorowsky, Schuiten, tous y publiaient des histoires étranges et fascinantes, qui m’ont ouvert l’esprit aux multiples possibilités du dessin. Enfant, j’aimais aussi énormément lire les livres de Tomi Ungerer, Maurice Sendak, et Arnold Lobel. J’adorais me perdre dans les images de la série « Où est Charlie » de Martin Handford.
As-tu hésité à faire de la pub ?
Non, je n’ai pas tellement hésité. J’ai toujours eu un attrait pour le travail de commande, dont le côté « concret » me plaît bien. Déjà, c’est un énorme plaisir d’être sollicité pour son travail. De plus, j’aime bien l’univers « corporate », le monde du bureau, les plantes, les couloirs, les néons, les stylos. Cela m’inspire dans mon travail personnel. Travailler en équipe, avec un commanditaire, une agence, permet aussi de ne pas rester seul dans sa bulle. J’ai l’impression que les marques cherchent à collaborer avec des artistes. Elles aiment mettre en avant le travail manuel. Les quelques expériences que j’ai eu dans ce domaine ont été sympathiques et respectueuses du travail accompli.
Tu as travaillé sur quels budgets ?
J’ai travaillé pour plusieurs marques, souvent sur des projets liés au print. J’ai fait des dessins en grand format dans le cadre d’une campagne pour Hennessy, des illustrations de packaging et de flacon pour Issey Miyake. J’ai créé des papiers-peints pour Hermès, des motifs de couvertures pour ZigZagZurich et des dessins originaux pour Starbucks. J’ai fait des illustrations pour BIC et pour Foscarini.
J’ai aussi travaillé pour la presse, dans des journaux comme Les Échos, le New York Times, The New Yorker magazine et Télérama. Actuellement je réalise une série de grands dessins pour la Société du Grand Paris, dans le cadre du projet du « Grand Paris Express ». Je vais décorer les quais de la future gare de Champigny-sur-Marne.
Est-ce qu’il y a des marques pour lesquelles tu refuserais de travailler ?
Peut-être, je ne sais. Ce dilemme ne s’est pas présenté jusqu’à présent. Bien sûr je ne souhaiterais pas travailler pour des fabricants d’armes mais ils ne m’ont jamais contactés. Je refuserais surtout si les commanditaires sont désagréables, et/ou irrespectueux du processus de création en général.
Parle nous de tes projets ?
Je suis très attaché au dessin grand format réalisé au stylo bleu pour le cognac Hennessy – « Master Blender Selection 4 ». Ce fut un plaisir de travailler avec une équipe sympathique et encourageante. La place principale laissée au dessin « fait à la main » était remarquable. ( merci Kévin, moi aussi j’ai adoré travailler avec toi et venir te rencontrer à Berlin <3 ) De plus, Hennessy continue encore aujourd’hui à valoriser cette création en conservant et en prêtant le dessin à l’occasion de divers événements. Ainsi, nous avons pu exposer le dessin cette année (2024) à la Maison des Arts de Châtillon, dans le cadre d’une exposition personnelle.
Je suis aussi très heureux d’avoir été sollicité pour réinterpréter le mythique parfum « L’Eau d’Issey » pour la marque Issey Miyake. Dans ce projet aussi le dessin manuel était bien mis en avant, sur le packaging du produit, ainsi que le flacon, et dans de courtes animations.
J’ai également adoré travailler pour Foscarini, un créateur de luminaires italien qui m’a proposé d’interpréter leur catalogue à ma façon. J’ai réalisé une série de dessins au stylo bille très libres. Ils ont été enthousiastes et ouverts à toutes les propositions, qu’elles soient bizarres et/ou amusantes.
Je suis honoré d’avoir illustré pour le magazine « The New Yorker » un superbe texte de l’auteure Louise Erdrich : « The Hollow Children ». Ce texte émouvant m’a beaucoup touché. La direction artistique du New Yorker est très exigeante sur la qualité du travail et je suis fier d’avoir pu collaborer avec la DA Alexandra Zsigmond sur ce projet.
Récemment, j’ai été ravi de collaborer avec une jeune marque de vêtements autrichienne : « Maezen ». Nous avons créé une série de vêtements (T-shirts, hoodies) sur lesquels l’illustration est brodée ! Ce qui donne une nouvelle dimension au vêtement. Ils deviennent objets d’art, porteurs de sens et d’histoires. La liberté de création était totale, et j’ai adoré découvrir mes dessins transposés en broderie.
C’est quoi ton outil de prédilection ?
Acteullement c’est le stylo à bille. À force de dessiner hors de chez moi, dans des cafés, en vacances, j’ai été naturellement attiré par cet objet d’apparence assez simple. On a tous un stylo BIC à portée de main. La teinte si particulière de son bleu, sa précision et sa durabilité m’ont fasciné.
C’est un outil qui permet une grande variété de lignes et de textures. Un peu comme une eau-forte en gravure, on peut facilement entrecroiser les lignes, travailler ombres et lumières afin de créer de la profondeur dans l’image. La pression de la pointe sur le papier donne aussi du relief au dessin. Je trouve que se teinte bleutée fait apparaître un univers rêveur, moderne par l’outil mais aussi un peu intemporel. J’aime me raconter des histoires et pouvoir les transcrire rapidement sur le papier. Le stylo à bille me permet cette spontanéité.
Quel est la pire chose à demander à un illustrateur ? et le brief idéal ?
C’est de lui demander d’imiter le style d’un autre illustrateur/trice.
Je ne sais pas trop comment est le brief idéal. Suffisamment détaillé, mais pas trop, afin de ne pas brider la créativité et de rester ouvert aux suggestions. Ce qui compte c’est qu’il établisse un rapport de confiance entre l’artiste et le commanditaire. Un brief trop long et précis peut être assez anxiogène pour l’illustrateur.
Quels sont les illustrateurs.rices que tu admires ?
Il y en a beaucoup. J’adore le style de Michel Rabagliati, les aquarelles incroyables d’Alan Lee. J’aime beaucoup les livres de Camille Jourdy (« Les Vermeilles » j’adore!). Les ouvrages de Kitty Crowther sont magnifiques ! Les œuvres d’Amandine Meyer. Bernadette Després, Sempé, Tomi Ungerer, l’humour absurde de Gary Larson. Avec mes deux filles âgées de 4 et 8 ans, on adore lire et relire les livres de Rotraut Susanne Berner et Axel Scheffler. J’aime aussi énormément les illustrations de Clémence Pollet, Delphine Aki, Juliette Baily, et celles de Vincent Pianina.
Et enfin, un conseil pour ‘prendre du plaisir’ dans son métier ?
Pour moi, une grande source de plaisir provient du travail au sein du collectif d’artistes « Ensaders » (https://ensaders.fr). Avec Yann Bagot et Nathanaël Mikles, deux amis de promo rencontrés aux Arts Décos, nous créons des dessins et des peintures « à trois mains ». Nous sommes parfois invités à improviser des fresques en grand format dans le cadre de spectacles ou de concerts. Nous conduisons aussi des ateliers créatifs à destination de publics variés. À l’occasion, nous travaillons aussi à distance sur des illustrations de commande.
C’est super de se retrouver régulièrement pour créer, rigoler et échanger nos idées. Donc mon conseil est de s’associer avec d’autres artistes dont on apprécie le travail. Cela peut prendre diverses formes, collectif, atelier, un groupe de discussion… À plusieurs on s’entraide, et on est plus fort. Par l’échange, on peut trouver des solutions à certains problèmes liés à notre pratique artistique. Un groupe permet de briser l’isolement du créateur, apporte des idées fraîches et donne du courage !
Merci.