/Interview mis à jour en 2017/
Bonjour Damien, tu es D.A. chez BETC Paris, quel est ton parcours ?
Je n’ai pas vraiment fait d’études. Après avoir quitté l’école à 16 ans, impatient de gagner ma vie et mon indépendance, j’ai été assistant photographe 2 ans et je bossais dans des restaurants le soir. J’ai aimé la pub en regardant les pubs Anglaises pour les cigarettes Silk Cut et Benson & Hedges que publiait alors le magazine Photo.
J’y ai découvert que l’on pouvait utiliser une forme d’art conceptuel pour promouvoir certaines marques.
Je me suis alors fait un dossier combinant des photos, des textes, des dessins et du graphisme, sans trop savoir là où je voulais en venir. C’était très naïf. J’ai montré ça à une voisine qui m’a mise en contact avec une acheteuse d’art…chez RSCG. Je n’avais aucune idée sur la pub et les agences. J’ai fait un stage à l’achat d’art, puis je suis passé à la création comme assistant. A cette même époque j’ai rencontré ma future femme qui m’a appris à être D.A. et à dessiner. J’ai travaillé 5 ans avec elle, puis j’ai été contacté par BDDP pour être D.A junior, puis Olivier Altmann m’a proposé de le suivre pour l’aider à lancer Bddp&Fils et de fil en aiguille je suis devenu D.A. senior.
Côté rédacteur, j’ai travaillé avec Olivier Camensuli, un peu avec Mathew Braning, puis Bruno Delhomme et enfin avec Thierry Albert. Quand Bddp&Fils a éclaté en 2005, je pensais arrêter ce métier, partir pour de nouvelles aventures.
Alors Thierry m’a proposé de partir essayer Londres. J’avais commencé ce boulot à cause de la pub Londonienne, donc boucler la boucle était tentant.
Notre dossier et notre anglais était apparemment suffisamment bons pour plaire à Jeremy Craigen, DC chez DDB Londres.
Au bout de 2 ans et demi de DDB et quelques campagnes remarquées, Robert Saville le patron de Mother nous a contacté. Nous avons accepté l’offre et au bout de 5 ans, lassé de faire le grand écart entre deux pays, j’ai décidé de rentrer en France, laissant Thierry à Londres, pleins d’amis et de bons souvenirs sur place. Après une brève réflexion, Betc s’est imposée comme l’agence où je souhaitais rentrer à Paris, car ils font des pubs vues et connues du grand public, mais aussi parce que cette agence, au-delà des idées, est aussi très concernée par le style.
Pour l’instant je suis heureux de ce parcours, je ne me suis pas ennuyé, j’ai eu la chance de rencontrer des gens formidables comme Jeremy Craigen, Grant Parker, John Hegarty ou Dougal Wilson, d’être invité à des jurys prestigieux et de boire trop de bières avec des réalisateurs mythiques.
Depuis combien d’années travailles-tu dans le milieu de la publicité ?
Je me souviens avoir fêté mes 18 ans alors que j’étais en agence, donc ça doit faire 28 ans. Il faut se dire que j’ai fait mes études en agence…
Comme le “claim“ Marmite, j’aime autant la pub que je la déteste. J’ai par exemple passé autant de soirées mémorables à Cannes que j’ai pu détester cette ville jumelée avec Beverly Hills. Je n’ai jamais couru après l’argent, plutôt après les gens passionnés qui aiment les idées subversives. La pub crève d’avoir trop de gens qui donnent leur avis et formulent des règles plutôt que de gens qui proposent des idées ou des solutions pour donner vie aux bonnes idées, et ça ne va pas en s’arrangeant.
Tu as hésité à faire de la pub ?
Je ne savais pas trop ce que je faisais en entrant dans ma première agence, je ne calculais pas trop. Je suis prudent, mais je crois beaucoup au hasard et à l’intuition. C’est une arme importante l’intuition pour faire de la bonne création et bien s’entourer.
Tu as de la famille, des contacts proches, qui travaillaient dans ce milieu avant d’y entrer ?
Non. A part Dominique Reinhart, cette voisine d’immeuble qui m’avait fait rencontrer une acheteuse d’art quand j’avais 17 ans.
Se démerder tout seul c’est pour moi un bon moteur. Cela dit, il y a des fils ou filles de publicitaires voire d’annonceurs, qui font de très belles carrières. Tout ça pour dire, que la création ce n’est pas tant une question de relation ni de filiation, c’est surtout une affaire de passion et de philosophie personnelle.
Tu travailles avec qui et sur quoi chez Betc ?
Je travaille sur ce qui se présente, sur les marques qui tournent chez Betc. Cela va du Crédit Agricole à Canal+ en passant par le loto et Lacoste, Petit Bateau ou Young Director Award. Mais aussi sur des prospections.
Parles-nous de deux trois choses que tu as faites.
Mes travaux préférés sont d’abord un vieux film Manix (l’empreinte) que j’ai fait il y a longtemps avec Bruno Delhomme, parce qu’il vieillit plutôt bien et que ça a été mon premier Lion d’Or,
https://youtu.be/youtube ilMFp5D_quI
et puis la campagne Marmite, que j’ai faite à Londres avec Thierry Albert et qui m’a demandé un gros travail de D.A. et qui à bien marché. C’était ironique de bosser sur une marque si ancrée dans la culture Anglaise…C’est un peu comme si un team d’Anglais fraîchement débarqué de Londres était amené à relancer un camembert en France.
https://youtu.be/youtube GoRcU0Ul7tU
Ensuite il y a un film Coca plutôt bizarre et amusant où j’ai beaucoup appris lors de la production qui était lourde,
https://youtu.be/youtube v5ubnN6r5Ig
et enfin, des affiches Harvey Nichols avec des sacs de couchages qui étaient marrantes à voir la nuit dans Londres.
Récemment 2 films pour Petit Bateau. Le premier c’est la « mini factory » avec Patrick Daughters (une usine imaginaire assez fun sur un cover de Herbie Hancock) et le second plus récent c’est le film « Tough day » réalisé par Luis Cervero qui montre la journée d’un enfant et son sweat shirt malmené sur une musique de Plastic Bertrand…Très amusant à fabriquer car beaucoup de techniques de caméras différentes et un rythme de montage intense (76 plans en 60 secondes) et évidement les désormais incontournables contenus digitaux qui marchent avec ce film. (Merci à Sam et Juri, les créatifs avec qui j’ai travaillé sur ce script).
Vous trouverez tous ces boulots sur ce lien:
http://damienbellon.squarespace.com/
(NDLR : allez voir aussi la liste des Awards, ça donne le tourni)
J’ai aussi produit précédemment une campagne d’affichage de 8 visuels pour cette marque qui montre différents enfants avec des masques en carton marrants sur des fonds de rues colorées (photos: René & Radka). J’ai bossé dernièrement sur le film de marque Bourjois avec la réalisatrice Vicky Lawton (et les créatifs Albert et Chloé). Un film assez pop et fun pour de la cosmétique. Enfin, j’ai repris il y a 2 mois la direction de création de Lacoste, et je suis très heureux de me replonger sur cette marque que j’aime beaucoup et pour qui j’ai fait sans doute le meilleur film de mon dossier (The big leap).
Tu fais quelque chose en parallèle de ton métier, une passion ?
Je fais de la photographie depuis environ l’âge de 10 ans. J’ai pas mal d’appareils photos qui sont comme mes doudous 🙂 Je fais des polaroids, du 120, du 4×5 du 6×6 et du numérique évidemment. La photo me permet entre autre de regarder les choses qui m’entourent différemment, sans doute plus précisément. Sinon je dessine souvent et je vais voir des expositions de peinture ou de photographie ou de trucs divers. J’y vais au moins une fois par semaine. A part ça, je passe pas mal de temps dans les librairies, j’adore les livres.
As tu quelques anecdotes du milieu publicitaire ou de la relation client ?
Une des jolies anecdotes que je connaisse (et qui n’offensera personne) s’est passée au Btaa (British Television Awards), un concours très prestigieux qui remet chaque année, en grandes pompes, des flèches d’or aux heureux gagnants en guise de trophées. Bref, un créatif réputé, avait entendu des rumeurs très optimistes sur le nombre de “flèches“ qu’il aurait à monter chercher sur scène. Pour se marrer il est aller à la cérémonie déguisé en Robin des bois avec un grand carquois vide à l’épaule…et évidement il n’a rien gagné. Il a donc fait une fin de soirée très remarquée en s’affalant ivre mort sur les invités en smoking.
Quel est ton meilleur souvenir ? Et le pire ?
Les meilleurs : Quand je suis arrivé à Londres en moto et que j’ai partagé une petite chambre de Bed & Breakfast avec Thierry avant de trouver notre appartement. Et aussi quand j’ai quitté Londres, j’avais organisé un déjeuner dans un pub avec une quarantaine de personnes qui allaient et venaient. On a commencé à midi et on a terminé vers 4h du matin, quand une ambulance est venue recoudre la tête d’une fille qui rigolait bien.
Le pire souvenir ? …
Je ne sais pas. Je suis relativement amnésique sur les souvenirs pénibles, ça me permet de ne pas trop regretter de trucs.
Si tu pouvais recommencer à 20 ans, tu changerais quoi ?
Je partirai sans doute plus tôt faire un tour à l’étranger.
Quelle est, historiquement, la pub qui t’as le plus marqué ?
Comme je t’en parlais plus haut ce sont ces campagnes d’affichage pour les cigarettes Anglaises qui ne datent pas d’hier mais qui jeune ado m’ont frappé par leur beauté.
A l’époque c’était très innovant de voir des images pareilles dans la rue à Londres en énorme. C’était une véritable leçon de création et de direction artistique. C’est d’ailleurs sur ce même principe d’art conceptuel que l’agence Fallon a plus récemment travaillé pour Sony Bravia ou Cadbury, car on peut dire que le fameux “Gorille” est une espèce de happening publicitaire. Sinon je trouve très inspirant le film Honda Impossible dream de 2009 (W+K) et le film Orange Dance (Mother), qui font la démonstration que même un concept très “corporate“ peut finir par un travail intelligent et poétique. Il y a aussi Levis Odyssey et Flat Eric (Mr Oizo) qui m’ont fait voir mon métier différement. Flat Eric, c’est une campagne 360° faite 15 ans avant que l’on parle du fameux 360° : les campagnes dites intégrées.
https://youtu.be/qfYmwaf89UE
Celles que tu aurais aimé faire ?
Égoïstement, une de mes campagnes Schweppes chez Mother, morte après deux tours en test. Les tests c’est souvent un drame. C’est l’endroit où, trop souvent, meurent les idées innovantes. Il faut bien admettre que les décisions prises par des groupes combinent rarement bien l’équilibre nécessaire entre la raison le cœur, d’autre part, un groupe test n’a pas souvent la culture nécessaire pour se projeter au-delà d’un animatic, d’une maquette. C’est comme essayer d’expliquer à quelqu’un de vierge, ce que c’est que de faire l’amour, ça ne remplacera jamais l’expérience originale.
Seul un tout petit groupe courageux chez l’annonceur et en agence a véritablement ce pouvoir de vision et d’innovation. Bref, il y a sinon évidemment plein de pubs que j’aurais aimé faire…Skoda cake, Guinness surfer, Stella ice skating priest, le lapin qui chante de Skittles, la série d’Old Spice etc, ou de grosses opérations comme HBO “voyeurs“.
J’aime le spectacle et plus que tout, la pub touchante ou déconnante qui parfois rend heureux le temps d’une journée. J’aime aussi l’idée qu’il y ait eu beaucoup de réunions, de questionnements, d’énergies, de talents et d’argent dépensés autour d’idées totalement imbéciles. En général cette folie, cette malicieuse inconscience se sent dans le produit fini, et c’est précisément ça qui le rend mémorable.
Et ta préféré ?
Il y en a un petit paquet que j’adore depuis longtemps, mais aujourd’hui ce serait sans doute celle des paralympiques 2017 « we are the superhumans » réalisé par Dougal Wilson.
Parce qu’elle fait l’apologie, avec un optimisme et un talent incroyable de ceux qui souffrent du regard des autres sur leurs handicaps (alors qu’ils se battent après un accident souvent violent). Ce film est la démonstration étonnante que la publicité peut être autre chose que futiles et inutiles.
Qu’elle peut parfois changer les mentalités sur des sujets aussi fondamentaux que le racisme, la sécurité routière, la violence domestique et toutes sortes de préjugés qui séparent les gens dramatiquement. Tout ça sans tomber dans le gadget ni faire cyniquement des créations uniquement pour remporter des awards en exploitant la misère des autres.
Je reste assez enthousiaste sur ce métier et pourtant, comme la plupart des créatifs j’en bave et j’y passe beaucoup trop de temps, mais faire un métier sans un minimum de passion me semble absurde, ne serait-ce que pour son accomplissement personnel.
Tu vois quoi comme changement entre tes débuts et maintenant, et tu penses que le milieu va évoluer de quelle manière ?
Internet a indéniablement beaucoup changé la donne. Ne serait ce que par la diffusion de toute la création publicitaire mondiale en quasi temps réel. Quand j’ai commencé on pouvait proposer une très bonne idée sans savoir qu’un chinois l’avait faite la semaine dernière.
Aussi, il y a moins de délai, mais ça ce n’est pas nouveau, et surtout moins d’argent, ce qui a tendance à se répercuter salement sur les talents chers à cette industrie, à savoir les photographes, les réalisateurs, les agents, les productions etc… Le nombre de sociétés de productions et agents brillants sur Paris, Londres et ailleurs qui ont fermé en 2010 est surprenant.
Le web évidemment est une révolution passionnante, mais l’usage d’un nouveau média ne garanti en rien le sursaut créatif d’une marque ni l’aspect innovant d’une idée. Bien souvent, les bonnes grosses idées sont d’abord des idées avant d’être des supports. C’est presque une Lapalissade, mais elle reste bonne à entendre. Enfin, pour ce qui est de l’évolution de ce métier, je dirais que les gens peuvent choisir d’éviter la pub de plus en plus, donc il va sans doute falloir proportionnellement plus de générosité, d’humour et d’innovation pour séduire. Je pense bêtement qu’il est important que les créatifs rencontrent un peu plus les annonceurs… juste un peu plus.
Cela évitera pas mal de malentendus, de poncifs idiots des deux côtés et de temps perdu.
Et enfin, il me semble important de rappeler à tout ceux qui en doutent, combien il est important de prendre au sérieux la création et les énormes retours sur investissements que génèrent les véritables prises de risque, l’innovation totale.
J’aimerais bien connaitre l’opinion des directeurs Marketing de Cadbury ou de Honda pour savoir ce qu’ils en pensent. Je crois d’ailleurs savoir qu’ils ont bien rebondi dans leurs carrières…
Quelles sont la ou les agences en France que tu conseillerais à un étudiant ? celles où tu irais aujourd’hui en stage ?
Jeune, j’irai bosser à Londres, Amsterdam, NYC ou Los Angeles.
Où ? Chez Wieden, Droga5, Adam&Eve ddb, 72 and Sunny…non pas que la France ce ne soit pas bien, loin de là, mais voyager aide à murir beaucoup plus vite et c’est plus facile de bouger quand on a des parents encore jeunes et pas d’enfants à charge.
En France j’irai chez BETC, Sid Lee, Buzzman, Romance, DDB ou Jésus, mais ce sont des choix subjectifs car tout dépend de ce que vous voulez faire, être 100% digital ? bosser sur des grosses marques? faire plutôt du design ou de la mode?…
Il y a plein de belles agences en France et parfois des toutes petites où il y a moyen de s’amuser et de grandir vite, l’important c’est surtout de choisir et respecter autant qu’ils vous respectent les gens pour qui vous allez travaillez, bosser dans une des meilleure agence avec le mauvais DC revient à bosser dans une mauvaise agence (sauf pour le CV).
J’en profite pour ajouter que pour durer dans ce métier il ne faut pas être trop pressé et avide de pouvoir…Souvent les pressés redescendent aussi vite qu’ils sont montés. Le plus important c’est de produire avec une certaine régularité des campagnes dont on soit raisonnablement fière, ne jamais oublier que tout ça n’est que de la publicité, que nos campagnes sont vite périssables (c’est sans doute aussi pourquoi notre industrie est si friande d’awards).