Bonjour Anthony tu es créa chez Mother, quel a été ton parcours étudiant/pro ?
Après un bac L option cinéma, je n’avais qu’une idée en tête: quitter ma douce mais quelque peu ennuyante Normandie natale pour la bien plus trépidante vie parisienne. Convaincu que je voulais travailler dans un domaine créatif, j’hésitais encore quant à la discipline à choisir, entre illustration, métiers du cinéma ou même jeux vidéos.
Finalement, au bout d’un an de relative errance, après avoir passé un peu de temps à la fac de Nanterre et beaucoup de temps à faire la fête avec mes voisins, abusé des cours du soir de la Mairie de Paris pour croquer – avec un crayon – des gens tout nus, et même dégoté un job de testeur de jeux vidéos, mon père me met la puce à l’oreille en me parlant d’un secteur qui pourrait m’intéresser : la publicité.
Merci papa.
Peu de temps après sur les bancs de l’IUT Paris Descartes, cursus publicité donc, je me fais de nouveaux amis et projette très vite de former un team créatif avec l’un d’eux, Christophe Amor.
S’en suivent des stages chez Lowe – Merci Christophe Perruchas, qui ne doit sûrement pas se souvenir de nous, mais moi je me souviens de sa gentillesse et de sa patience envers nous et notre dossier de (vraiment) débutants – puis chez GREY. Après peu de temps, mon binôme décide d’en rester là avec la publicité, et je pars en solo pour un troisième stage chez TBWA.
Là-bas, je commence à prendre confiance et à m’épanouir de plus en plus dans ce métier, je découvre de l’intérieur l’une des plus belle et internationale agence de France, encore auréolée de l’avalanche de prix des années Vervroegen et je passe un bon moment. La trafic me propose d’abord de rester comme assistant DA mais ils recherchent plus quelqu’un pour faire les logos du DA senior et moi, je veux aussi faire de la conception.
Coup de chance, un autre ami de l’IUT, Axel Didon, se sépare à ce moment de son binôme, et suivant l’avis d’un autre pote ( Joseph Dubruque), on commence à travailler ensemble.
On passe alors vraiment à la vitesse supérieure. On travaille comme des dingues sur notre dossier, on démarche à Paris, mais on décide aussi de se donner toutes les chances et d’envoyer notre portfolio à – littéralement – toutes les meilleures agences du monde, du moins un top 50 de nos préférées. On a l’agréable surprise de recevoir pas mal de feedbacks positifs avec même un mail très sympathique de la légende publicitaire qu’est John Hunt, puis on reçoit une offre de Jung Von Matt à Hambourg, et on saute de joie.
On passera finalement près de cinq ans en Allemagne. D’abord chez la machine de guerre Jung von Matt, un peu le BETC germanique, puis Heimat, qui est alors une des agences les plus scrutée dans le pays (C’est un peu l’équivalent de Buzzman en France).
Puis vient le temps des séparations avec Axel qui rentre à Paris pour retrouver sa partenaire alors que je décide de suivre la mienne à Londres. Quels gentlemen nous sommes.
Ce n’est pas évident d’arrêter de travailler du jour au lendemain avec un ami avec lequel tu as partagé plus de quatre ans d’aventure à l’étranger, mais la perspective de se faire une petite place dans l’impressionnant marché publicitaire anglais est excitante, et après un petit passage en freelance chez McCann London – merci Jean-Laurent Py – je rencontre mon actuel partenaire, Oli Rimoldi, par l’intermédiaire d’une chasseuse de tête. Le courant passe très bien et on se retrouve vite chez Mother, un rêve d’enfant (enfin de jeune adulte) pour former un team franco-anglais, d’abord comme créatif puis plus récemment avec la double casquette de créatifs et directeurs de création. On y est depuis près de cinq ans maintenant (dec 2020).
Depuis combien d’années travailles-tu dans le milieu de la publicité ?
Une dizaine d’années, sans compter les stages ? Quelque chose comme ça.
As-tu hésité à faire de la pub, tu aurais fait quoi à la place ?
Non. J’ai hésité avant, entre différentes formations artistiques et des formations un peu plus classiques telles que le journalisme, mais quand j’ai découvert le métier de créatif, j’ai eu l’impression d’avoir découvert un travail qui me permettait de toucher à tout ce que j’aimais, sans avoir à choisir. C’était très libérateur et j’ai sauté à pieds joints.
Tu es ‘fan’ de quoi ? (hors pub)
Il y à encore peu, je lisais beaucoup, de tout, avec une prédilection pour le fantastique, la S-F et le polar, romans tout comme les bandes dessinées. De Philip K. Dick à Bram Stoker en passant par Henning Mankell et Fred Vargas. Côté bande dessinées, je suis un grand fan de Moebius, Enki Bilal, ou encore Joann Sfar.
J’ai un peu levé le pied, au moment la naissance de mon fils, mais je commence à reprendre le temps de lire depuis peu, dont le dernier James Ellroy et la saga celte du romancier Jean Philippe Jaworski que je recommande, Rois du Monde.
J’ai également renoué avec ma vieille passion pour le jeu vidéo avec le dernier Zelda, un petit bijou sur lequel j’ai perdu quelques heures.
Niveau musique, c’est plutôt éclectique, ça peut passer de Tool à Camille Saint Saëns à Brel en quelques heures.
Après comme pas mal d’entre nous, j’attends les jours meilleurs pour retourner se faire une toile ou une exposition.
Niveau sport, surtout une grosse obsession pour le tennis.
Tu as travaillé sur quels budgets, avec qui, dans quels pays ?
Lors de mes stages en France, un peu de tout, de la Sécurité Routière chez Lowe à McDonalds et Nissan chez TBWA, en essayant d’oublier les patchs Thermacare chez Grey.
En Allemagne, chez Jung von Matt avec Axel, premières campagnes européennes pour Zalando et Panasonic, avant de partir chez Heimat Berlin, pour travailler principalement sur les campagnes mondiales de MINI. Une marque iconique, mais un client très difficile, qui nous a tout de même permis de se bâtir une belle expérience dans la publicité automobile, secteur ô combien important en Allemagne.
Puis nous avons eu la chance de gagner le budget Loctite Super Glue pour le monde, à la suite d’un pitch en roue libre ou toute l’équipe se remettait d’un compétition éreintante – et perdue – de deux mois sur McDonalds et n’avait qu’une envie: se faire plaisir. Alors on s’est fait plaisir, et au final on rentre le client, produit à l’identique les idées présentées et récolte même quelques prix avec. Je n’en ai jamais refait une comme ça, de compét’.
À Londres, chez Mother avec Oli, nous travaillons sur tous les comptes de l’agence en tant que créatifs, de IKEA à KFC, et anciennement MoneySupermarket, en plus des compétitions. En tant que directeurs de créations, nous avons entre autre eu la possibilité de gérer The Body Shop depuis plus d’un an, avec un beau film d’animation encore dans les cartons à cause de cette fichue pandémie.
C’est quoi les différences culturelles entre les français les allemands et les anglais ?
Une bien vaste question. Ayant fait la majorité de ma carrière hors de France, je ne suis peut-être plus à même de comparer avec ce qui ce passe ici, mais j’ai bien deux ou trois idées en tête.
Entre la France et l’Allemagne, je dirais qu’Axel et moi avions eu un petit choc. De prime abord, tout semble relativement similaire, il y a bien évidemment toujours les créas, les commerciaux, les DCs, bref la même structure. Puis tu te rends compte de pas mal de petites choses qui additionnées créent une vraie différence.
La culture du team créatif par exemple. En Allemagne, le team créatif n’est pas nécessairement cette entité un peu inséparable, ce tandem qui gagne ensemble et perd ensemble, ou construit sa carrière ensemble. Si on a besoin d’un DA sur tel ou tel projet, ils ne vont pas hésiter à te demander si tu peux laisser ton rédacteur tout seul pendant trois semaines pour donner un coup de main. Il y a un certain effacement de l’individu en faveur du collectif, qui a des côtés positifs mais aussi pas mal de défauts – par exemple la perte de temps incroyable quand chaque équipe créative doit absolument écouter toutes les idées des six autres teams sur le même projet, donc passer quatre heures dans une salle de réunion, ressortir à 19 heures le cerveau en bouilli pour se remettre au travail pour la présentation de 9 heures.
Effacement individuel finalement assez hypocrite quand tu vois que certains ECDs allemands ne se sont jamais totalement accomplis en tant que créatifs et n’hésitent pas à confisquer les meilleurs briefs de l’agence et bosser tranquillement dessus au nez et à la barbe de leurs équipes.
Après, on y a a appris à faire de la quantité, à penser sur de nombreux supports – les créatifs allemands sont très friands de stunts, activations, idées PR – à ne pas passer cinq heures sur une maquette avant même d’avoir parlé de cette idée avec ses DCs, à savoir rester concis dans un premier temps pour explorer rapidement plusieurs territoires créatifs. Guido Heffels, le CCO d’Heimat, forçait les créatifs à décrire leurs idées sur le plus petit morceau de post-it possible.
Ce qui m’a manqué le plus là-bas au final, c’était la culture du craft, du beau, de la direction artistique en somme, bien plus développée en France – en ce qui concerne là notre industrie en tout cas – et ce sentiment que la publicité ne fait pas encore complètement partie de la pop culture.
Ce qui m’amène à l’Angleterre, pays ou la création publicitaire fait véritablement partie de la culture et où chaque nouveau spot John Lewis est discuté dans The Guardian. Primauté à l’idée, sans oublier la qualité de l’exécution, recherche de la simplicité, ce n’est pas pour rien que nombre d’agences britanniques ont tutoyé la perfection dans notre domaine. C’est peut-être parce qu’ils ont la formule magique de John hegarty “Advertising is 80% idea, 80% execution”.
Structurellement, la plupart des agences anglaises permettent aux créatifs de se concentrer sur la recherche de l’idée, avec des pôles de graphistes qui viennent supporter les directeurs artistiques quand il le faut, pour la recherche d’image, l’exécution de maquettes, la mise en page etc…Et personne ne viendra demander à un DA junior de faire de la mise en page sous Quark Xpress/indesign. Il y a des graphistes payés pour faire ça. En tout cas chez Wieden+Kennedy ou Mother. Mais c’est peut-être encore différent dans les agences réseaux.
Personnellement, j’ai également trouvé les clients en moyenne plus “éduqués” au niveau créatif, plus en phase avec l’agence. Ce n’est certes pas vrai pour tous, mais en comparaison, c’était la nuit et le jour avec l’Allemagne.
Allez, ça suffit, ça fait déjà beaucoup trop de louanges pour la perfide Albion.
Parles nous de 2-3 choses que tu as faites :
Dernière production dont nous sommes très heureux, la campagne IKEA Tomorrow Starts Tonight, avec principalement un film et une campagne presse et affichage rappelant l’importance du sommeil. Deux ans d’attente pour finalement la produire in extremis pendant le premier confinement, une vraie aventure.
Film :
https://www.thedrum.com/creative-works/project/mother-london-ikea-tomorrow-starts-tonight
Les films MoneySupermarket avec Skeletor et He-Man, chouette tournage et pré-production – entre ça et le Lièvre et la Tortue, on va ouvrir un magasin de costumes.
De petits 10 secondes pour KFC, pour une campagne de Noël dont le budget avait été divisé par trois par rapport à l’année précédente – alors certes on était heureux de re-shooter un 90s quelques temps après, mais fier de cette campagne, surtout vu les contraintes.
Et pour le plaisir, les films produits après le pitch Loctite auquel je faisais référence
Tu fais quelque chose en parallèle de ton métier, des projets ?
J’essaie de trouver le temps – et la discipline surtout – pour dessiner et illustrer hors du cadre de mon métier. Je m’attelle aussi depuis peu à l’écriture de scénarios, mais la tentation d’un bon verre de vin et d’un épisode de « The Boys » prend encore trop souvent l’ascendant en fin de journée.
À suivre.
Quel est ton meilleur (et pire) souvenir ?
Professionnellement parlant, je crois que mes embauches chez Jung Von Matt et Mother ont sûrement été les moments les plus plaisants de ma carrière. Se dire que tu vas rejoindre une agence mythique, à chaque fois c’était un bonheur. Je me rappelle particulièrement de ce skype avec les ECDs de Jung Von Matt, effectué en anglais, car mon allemand (et celui d’Axel) était alors inexistant.
Axel se sentant alors encore peu à l’aise en anglais a réussi la prouesse de passer l’entretien sans dire un mot, et sans que cela paraisse bizarre. Un vrai tour de magie.
Quelles sont les pubs que tu préfères, tes classiques ?
Guardian – Three Little Pigs – BBH
Guinness – NoitulovE – AMV
Levis – Odyssey – BBH
Audi – Clowns – BBH
Parce qu’il n’y a pas que BBH dans la vie :
Halo 3 – Believe – McCann NY
Aides – TBWA Paris
Harvey Nichols – DDB London
FAZ – dahinter steckt immer ein kluger kopf – Scholz & Friends
Une saga print pour un journal de référence allemand, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, avec une ligne intéressante qui dit grosso modo “il y a toujours quelqu’un d’intelligent derrière” et qui photographie les célébrités participant à cette campagne cachés derrière le journal – assez brilliant.
Financial Times – DDB London
Canal+ – The Bear – BETC
Air France – Faire du ciel le plus bel endroit de la terre – BETC
https://www.adforum.com/creative-work/ad/player/699/one-of-the-best-places-on-earth/air-france
Peugeot – Le pont – BETC
https://fr.adforum.com/agency/1545/creative-work/39176/le-pont-anglais/peugeot-peugeot
Bon j’arrête là. Ah si, Toujours chez BETC, j’ai beaucoup aimé les derniers prints Lego, une signature parfaite et des exécutions bien sympas.
Tu as des modèles de créatifs dans la publicité ou en dehors, des gens qui t’inspirent ?
Dans la publicité, John Hegarty. Pour la qualité du travail produit sous sa direction d’abord, qui est simplement incroyable. Le BBH des décennies 90-2000 est mon graal créatif. Levi’s, Audi,The Guardian, Axe, Xbox, Google, tellement de campagnes mythiques de l’idée jusqu’à l’exécution.
Et puis pour ce qu’il dit, ce qu’il écrit – sa compréhension de ce qui motive vraiment un créatif transparaît dans ses livres, il est tout simplement un bonheur à lire et à écouter.
Rémi Babinet également, qui a donné naissance à des sagas publicitaires incroyables, de Evian à Air France, et plus récemment avec Lacoste. Le seul sûrement à s’être élevé au niveau des meilleurs anglo-saxons quand il s’agit de construire une marque.
Robert Savilles, fondateur de Mother et mon patron – il a façonné l’une des meilleures agences indépendantes de notre industrie, et c’est tout simplement un gentleman, humain, plein d’humour, discret. Un exemple en terme de travail mais aussi en terme de comportement. (non, je ne fais pas ça pour avoir une augmentation, il ne lira probablement pas cet interview )
En dehors de notre industrie, je ne m’essaierai pas à tous les citer, les grands peintres, les cinéastes, les photographes, il y a juste tellement de richesses et beaucoup de gens très talentueux. Peut-être une prédilection pour Lynch, Fincher, et le nouvel Hollywood des Palma, Coppolas et Lucas. Des photographes comme Depardon, Arbus ou Mapplethorpe. Jean Giraud aka Moebius en bande dessiné.
L’insolent talent touche-à-tout d’un Woodkid. Les peintres classiques…bref, beaucoup de monde.
Tu vois quoi comme changement entre tes débuts et maintenant ?
JWT s’appelle Wunderman Thompson, Grey AKQA.
Les grands réseaux concentrent toutes les compétences sous un même toit et font face à l’assaut des Accenture & Co, qui ont pour elles de parler directement avec les CEOs quand trop souvent les agences ne parlent qu’aux CMOs.
Les agences ont vendu les expertises de leurs employés à trop bas prix et les relations client-agence à la Steve Jobs-Lee Clow manquent sûrement cruellement à notre industrie. Il y a une prise de conscience mais la route est longue.
Après, on voit aussi que les agences les plus créatives résistent, voir continuent à grandir, alors que ceux qui faisaient un peu tout pas très bien disparaissent. Finalement, pour les créatifs, on peut aussi y voir du positif et se dire que nos compétences n’ont sans doute jamais été autant recherchées. Les postes ne sont plus uniquement en agence traditionnelle mais aussi in-house chez le client, ou bien au sein des boîtes de production qui se mettent à également à l’idée…
D’un point de vue créatif, on semble avoir trouvé un bon équilibre entre médias “classiques” et “digitaux” – si cela veut toujours dire quelque chose.
Très bon article de John Hegarty à ce sujet d’ailleurs : https://www.campaignlive.co.uk/article/industry-bedevilled-lack-understanding-works/1700826
Un conseil pour réussir dans ce métier ?
Suivre son plaisir, il n’y a qu’en écrivant des choses qui nous plaisent que l’on réussit et que l’on s’épanouit.
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