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INTRO

Il y a toujours ce moment, à la fois jouissif et extrêmement frustrant, où l’on découvre une super campagne pour la première fois. Ce plaisir mêlé de jalousie où l’on se dit « p*tain, quelle bonne idée ! ». Et puis parfois, en creusant un peu, une autre question nous rend encore plus jaloux : Mais comment ont-ils vendu ça ?

Vendre, c’est un talent. Au même titre qu’avoir des idées ou les réaliser. Et ce talent, c’est celui de ceux qu’on appelle en agence : les commerciaux.

Mais c’est qui les commerciaux ? Ici, c’est Sebastien Jauffret. Il a aidé Canal+ à faire parler une peau d’ours, piraté la plus grande marque du monde et nargué la plus grosse compagnie de VTC. Alors forcément, il fallait se dépêcher de lui parler avant qu’il finisse en prison.

NDLR : Cette série d’interviews est orchestrée par Joseph Rozier.


Salut Seb, peux-tu nous raconter un peu ton parcours ?

J’ai grandi dans la publicité. Mon grand-père avait une agence baptisée Yves Alexandre et c’est d’ailleurs drôle de penser aujourd’hui que c’était un très bon ami de Monsieur Marcel.

À la fin du lycée, je me voyais bien devenir créatif. Mais si on se dit la vérité je savais que je n’étais pas très bon créatif et c’est en grande partie pour ça que j’ai décidé de devenir commercial, mais avec un goût prononcé pour la création.

J’ai démarré en agence en 2006. C’était chez TBWA, dans la cellule Nissan. Un délire comme on en fait malheureusement plus : Un plateau de 750m2 sur les Champs-Élysées pour 20 personnes, une équipe composée de personnalités folles et globalement très talentueuses, le DC c’était Chris Garbutt par exemple et ils sortaient des campagnes sacrément chouettes.

Mon premier jour reste inoubliable, je me retrouve à 9h seul dans l’ascenseur avec… Jean-Marie Dru.
On avait 1 seul étage à monter, mais c’était interminable. Je devais être visiblement impressionné (je l’étais). Alors pour être sympa, il me dit « vous êtes nouveau vous ? c’est bien, travaillez dur » – Je ne me sentais pas forcément mieux… Il sort de l’ascenseur, le réceptionniste lui glisse « Bonjour Jean-Marie ». Lui répond « bonjour, bonjour », je m’approche à mon tour du réceptionniste, il portait, l’air de rien, un t-shirt « I love bondage ». Bizarrement, ça m’a détendu.

Ça a démarré comme ça. Je ne connaissais rien, j’étais même nul mais tellement content d’être là. Avec le recul, je me rends compte que j’ai eu une chance folle de démarrer là-bas.

Après 9 mois de stage, je passe chez TBWA\Paris à Boulogne. Là, je découvre la différence entre une cellule et une agence. C’était en pleine époque Erik Vervroegen à la création / Arthur Sadoun à la présidence :  des charrettes, des frolics, des lions hunters. Surtout des charrettes en vrai. Après 4 années intenses, j’arrive chez BETC sur pour travailler sur l’un des comptes qui me faisait le plus rêver en tant que jeune commercial : CANAL+. Être payé pour vendre des blagues, c’est quand même cool comme concept. Après CANAL, j’ai travaillé sur Air France au lancement de France is in the air et d’autres grandes marques FMCG. Et enfin 7 ans plus tard, je décide de partir pour une nouvelle aventure à taille plus humaine, plus libre, plus digitale chez Marcel. Ça fait 5 ans et j’ai travaillé sur Meetic, Heetch, Back Market, Nescafé Dolce Gusto et désormais sur la marque automobile DS.

Tu es derrière la vente de « Hack Market » chez Marcel ? Dis-nous, comment on convainc son client de pirater Apple aussi effrontément ?

Avec Back Market, on se connaissait bien. Je savais que l’audace de l’idée les séduirait. Mais avec la pression du business, des investisseurs… il fallait attendre le bon moment pour leur présenter l’idée. On a attendu 1 an. L’idée en soi n’était pas compliquée à vendre. Elle était simple, marrante, facile à raconter. On a fait une cartographie d’un vrai Apple store, des essais « home made », une simulation de l’idée pour mieux visualiser comment ça marcherait le jour-j. Mais la clef de la vente, c’était le rapport bénéfices-risques… Car on ne pouvait pas faire disparaître tous les risques. Alors l’enjeu commercial était à chaque fois de faire comprendre qu’ils avaient beaucoup plus à gagner qu’à perdre.

Ce n’était pas toujours facile, et on partait de loin. Car lors de la première évaluation juridique, on encourait une peine au pénal. On a travaillé main dans la main avec un avocat et les avocats de Back Market pour limiter les risques au maximum… La vente de l’idée s’est faite en une réunion. La vente du projet aux avocats a duré six mois.

La seconde « grosse » vente, c’était pour trouver les bons partenaires, parce que s’attaquer à Apple, ça semble impensable voire commercialement irresponsable quand on travaille dans la communication. Beaucoup espèrent travailler avec Apple un jour. Il a donc fallu vendre ce rapport gains / risques à une boite de production qui allait prendre tous les risques sur le terrain et à des influenceurs aussi fous que nous qui se moquaient d’être black listés (et des influenceurs qui veulent bosser avec Apple, je peux vous dire maintenant qu’il y en a vraiment beaucoup). Et enfin, convaincre des plateformes qui ont toutes essayé de bloquer la diffusion de notre vidéo par peur des représailles d’un de leur meilleur client… bref, c’était un bon casse-tête commercial.


D’ailleurs, Uber Heetch était une vente similaire en tous points mais dans une moindre mesure… sans doute parce que beaucoup plus de gens en France étaient prêts à s’en prendre à Uber.

Tu fais aussi parti de l’équipe à l’origine de « L’Ours » de Canal+. Dis-nous, comment on vend une campagne pareille ? 

Pour remettre dans le contexte, parce que ça commence à dater, ce film arrivait après des films très populaires sur « la Création Originale », comme « Le Placard », et Canal+ voulait rassurer l’industrie du cinéma et lui dire qu’elle ne l’oubliait pas. C’était donc une commande de film très important pour la chaîne avec une grosse dimension politique. En gros, impossible de se louper.  « L’Ours » a pris un an et demi en conception et en vente. On a présenté des scripts pendant plus d’un an au client ! Les PB étaient hilarants. Les présentations clients l’étaient aussi. Mais il n’y avait jamais d’évidence pour eux… Et puis au bout d’un an, Béatrice Roux, la dir com de CANAL, nous dit à la fin d’une réunion « il y a quelques mois, il y avait un film avec un animal bizarre, ce n’était pas si mal, non ? »

Pour la petite histoire, à l’origine, ce n’était pas une peau d’ours dans le script. Mais une tête de sanglier portée par deux gars. Un trophée de chasse accroché au mur qui passait son temps devant la télé.

Jean-Christophe Royer, Eric Astorgue & Stéphane Xiberras ont eu l’idée de transformer le sanglier en peau d’ours. 4 roughs de cette peau d’ours en plein tournage et le génie narratif de Stéphane auront réussi à convaincre le CEO. C’était parti.

Bon là, je vous la raconte comme si c’était une petite balade sympa mais il y avait quand même une sacrée pression en conception. La vente à CANAL s’est faite parce qu’on se faisait mutuellement confiance et que l’on est arrivé ensemble à ce film. Ils savaient que si cela prenait du temps, ce n’était pas une question de manque de travail à l’agence ou de flemme, juste, ils acceptaient (selon les jours et humeurs) que la création est une science humaine qui a besoin de temps. C’était une sacrée cliente Béatrice et ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si les meilleurs pubs CANAL+ sont sorties quand elle était directrice de la communication.

Et ça a roulé tout seul ensuite ?

Oulah non ! Vendre l’idée, même après 1 an, ce n’est que le début. Le plus énergivore, c’est de rassurer le client tout au long du process. Le budget de prod, ce fut quelque chose… le devis était super compliqué à négocier. Les clients voulaient absolument baisser l’enveloppe. Mais c’était un film avec énormément d’effets spéciaux.  Quand on est la chaîne experte du cinéma, la pub se doit d’être au même niveau que les films.

Et puis forcément, quand CANAL a découvert l’ours hurler « I don’t give a shit ! » au montage… leur réaction : « c’est super drôle mais bon ça reste une injure, est-ce qu’on ne le garde pas pour la version RP ? ». Ce fut la dernière grosse vente de l’ours. Sans regrets.

C’est d’ailleurs ce genre de détails qui potentiellement font entrer des films de pub dans la culture populaire et autant de petits combats qu’il faut aussi savoir mener avec la création quand on est commercial.

Quelles sont les campagnes où tu t’es déjà dit « mais comment ont-ils vendu ça ? »

J’aurais bien aimé être là quand ils ont vendu le positionnement de Marmite. Par curiosité, mais aussi parce que j’ai l’impression que personne n’a vraiment réussi à le refaire depuis. Et puis, aussi, quand ils ont vendu une de mes pubs préférées, the Gene Project, tant à Marmite qu’à des scientifiques. Bref, je crois bien qu’en fait j’aimerais rencontrer les commerciaux qui ont œuvré sur Marmite ces 30 dernières années.

Quelle est la vente qui t’a fait le plus halluciner ?

Je n’y ai pas assisté directement, mais on me l’a racontée. C’était avant mon arrivée sur CANAL+, justement sur le film « Le Placard ». Le département des études, chez CANAL, avait testé dans son coin la copie. Et résultat… il ne fallait surtout pas faire ce film ! Tous les signaux étaient au rouge. Quand on y réfléchit 2 secondes, « Le Placard » c’est l’histoire d’un salarié de CANAL+ qui trompe un abonné de CANAL+ avec sa femme et cet abonné est trop stupide pour s’en rendre compte. Ça ne peut que mal se passer en test. Dans une réunion de la dernière chance, Raphaël de Andreis alors CEO de BETC monte sur la table et dit « Faites-nous confiance. Si ce film ne marche pas, eh bien, vous n’aurez qu’à nous mettre en pitch et on ne montera pas dessus ! ». Résultat : la campagne est sortie et carton total tant en image qu’en recrutement. Encore une fois, tout est une question d’audace, de courage, et dans ce cas, il en fallait vraiment du courage pour qu’une dir com aille contre les tests, prenne personnellement tous les risques car sur le papier c’était casse-gueule.

Quels sont les conseils qui t’ont le plus servis jusqu’ici ?

« On ne ment jamais à un client ». Pour vendre, et encore plus pour vendre des projets ambitieux, il faut la confiance de son client. Si tu brises cette confiance, ça devient très très compliqué derrière. La confiance d’un client c’est le basique indispensable pour un commercial dans la pub comme il n’y a aucune garantie de résultats.

Et puis trouver son style… il n’y a pas de recette magique, chaque commercial a sa diction, son style d’éloquence, son style de vente. Ça vient avec le temps mais surtout ça se travaille. Et c’est encore plus important aujourd’hui avec Zoom ou Teams, où le corps et l’espace sont limités.  Après, on a de la chance, il y a de nombreuses et formidables sources d’inspirations dans ce métier pour cela : Charles Georges-Picot ou Bertille Toledano par exemple.

As-tu des personnalités qui t’ont inspiré durant ta carrière ?

François Brogi (G.M. Artefact 3000). Mon premier coup de cœur professionnel. Un excellent publicitaire capable de retourner une salle entière qui est contre une idée. ’12 Hommes en colère’ version COGIP, c’est forcément bien.

Évidemment Christophe Neyret (E.M.D. TBWA), un raisonnement toujours simple, toujours clair, toujours juste et du coup quand il vend, on dirait qu’il ne vend pas. C’est aussi quasiment une agence à lui seul… J’aimerais bien un jour arriver à la chaussette de Christophe Neyret, ce serait une carrière plutôt réussie.

Et enfin Pascal Nessim (co-president Marcel) & Charles Georges-Picot (C.E.O. Marcel-Publicis Luxe), ils sont à la fois tellement différents et tellement complémentaires que c’est le meilleur torture test possible de toute stratégie de vente.

Et après, beaucoup de créatifs… forcément Youri & Gaëtan avec qui je passe une grande partie de mes journées et qui m’ont énormément apporté ces cinq dernières années, mais aussi Stéphane Xiberras, Virgile Lasalle & Vincent Boursaud, David Soussan & Marie-Eve Schoettl, Clément Séchet, Olivier Apers, Vincent Malone, JC Royer … et puis Patrice Dumas évidement… s’il acceptait d’aller en réunion client, il serait exceptionnel ! Il m’a toujours dit qu’il avait fait mettre dans son contrat qu’il n’irait à aucune réunion client. Si c’est vrai, c’est un génie. Si c’est faux, c’est un génie aussi.

Au global, c’est quand même de passer du temps avec les créatifs qui t’aide à mieux vendre de la création.

Quelle est la difficulté supplémentaire quand il s’agit de vendre de la création ?

C’est un métier profondément humain, avec beaucoup de frustrations. Quand tu ne vends pas, le plus dur, c’est de croiser la déception des créatifs. Et accessoirement, les avant-bras d’Olivier Apers…

Un regret ? Une vente qui ne s’est pas faite ?

Le jour où avec Jean-Christophe Royer je me suis retrouvé en tête-à-tête dans un café avec Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd. Il était en exil, hébergé en France chez Nicolas Hulot. On avait 30 min pour lui pitcher une idée mi-folle mi-conne : un clip à la we are the world sur l’importance des crottes de baleines dans l’équilibre de l’océan avec tous les chanteurs partenaires de l’association. C’était con et ça aurait pu être fou mais bon, voilà, cette idée est restée dans ce café.

Quels conseils donnerais-tu à un.e jeune commercial.e qui se lance dans la pub ?

Repérer l’alchimie entre créativité et efficacité, c’est-à-dire regarder les fiches techniques de Cannes & des Effie par exemple et cibler les commerciaux qui vendent les projets qui cochent ces 2 cases. Réussir à concilier les intérêts des clients et ceux des créatifs, c’est généralement bon signe sur l’état de la relation avec un client.