INTRO
Il y a toujours ce moment, à la fois jouissif et extrêmement frustrant, où l’on découvre une super campagne pour la première fois. Ce plaisir mêlé de jalousie où l’on se dit « p*tain, quelle bonne idée ! ». Puis parfois, en creusant un peu, une autre question nous rend encore plus jaloux : Mais comment ont-ils vendu ça ?
Vendre, c’est un talent. Au même titre qu’avoir des idées ou les réaliser. Ce talent, c’est celui de ceux que l’on appelle en agence : les commerciaux. Mais c’est qui les commerciaux ?
Ici, c’est Olivier Massanella. Directeur associé chez DDB Paris. Après avoir commencé comme vendeur, serveur et barman, il s’est remonté les manches et a mis les mains dans le cambouis pour nous servir des campagnes multi-primées sur Volkswagen Entretien. Donc forcément, ça méritait bien un petit entret… bref, vous avez compris.
NDLR : Cette série d’interviews est orchestrée par Joseph Rozier.
Salut Olivier, peux-tu nous raconter un peu ton parcours ?
J’étais plutôt un cancre à l’école. Je ne savais pas du tout ce que je voulais faire. Tout ce que j’aimais, c’était faire marrer les copains. Après le lycée, je décide de faire une année blanche où je bosse comme vendeur, serveur et barman. Histoire de réfléchir à la suite.
Je me suis alors souvenu que j’avais toujours eu une attirance pour la pub.
Je suis né au début des années 80. Comme mes parents bossaient beaucoup, je passais mon temps à regarder la télé. C’est là que j’ai découvert l’émission Culture Pub. Notamment avec les films « Get Up Ah! » pour la Renault Clio, ou encore le film 806 de Peugeot. J’adorais ça !
À la fin du lycée, j’ai décidé de m’inscrire à l’ESP. C’est là que j’ai eu le déclic. L’équipe pédagogique nous donnait vraiment confiance en nous. En 3e année, je fais un stage de 6 mois chez DDB. Je travaillais sur Bouygues Telecom avec Olivier Henry et Matthieu Nevians à la création. Mon rôle consistait, bien souvent, à coller des maquettes. Mais je m’en fichais car je les collais avec les créatifs ! Donc je n’arrêtais pas de parler création. Il faut dire que DDB, à ce moment-là, c’était Hollywood Boulevard. Il y avait des talents dans tous les couloirs. C’était l’époque Sylvain Tirache et Alexandre Hervé à la direction de création.
Pour ma dernière année, je voulais partir à l’étranger. Mais avec la crise des subprimes, ce fût plus compliqué que prévu. Résultat : j’atterri chez BETC sur Peugeot. BETC, c’était une agence beaucoup plus attentive au CV. Plein de jeunes sortaient de HEC. C’étaient tous des tronches. Mon parcours était très différent. Mais peu importe ! J’y allais avec ma bonne humeur et je dépotais.
Chez BETC, l’ambiance n’était pas aussi fun et familiale que chez DDB. C’était plus besogneux. On pouvait toucher du bout des doigts de grandes campagnes, mais avec des process plus rigides. Là-bas, j’apprends aux côtés d’une super équipe commerciale. Mais mon plus chouette souvenir, c’est Vincent Malone. Il était, à l’époque, patron de toute la partie son chez BETC. C’était une machine ! Tu lui disais « Vincent, j’ai une galère sur une radio », il se levait, marchait un peu, puis te disait « C’est bon, je l’ai ! » et il te récitait la radio au mot près. Des radios, je me souviens en avoir écrit un paquet sans créatifs, notamment quelques unes avec Raphael de Andreis.
2009. Paul Ducré, chez DDB, me propose de les rejoindre pour bosser sur L’Équipe. Au même moment, BETC me faisait aussi une proposition, et mieux payée. Mais c’était tellement plus drôle DDB ! Il y avait plein de créatifs de fou. Donc go ! Paul Ducré, c’est quelqu’un qui aime la pub, les idées. Il me disait : « Dès que tu as un moment libre dans la journée, passe-le avec les créatifs. »
C’était une super période. Je suis plus nuancé sur mon passage sur Lactalis : Pendant 4 ans, je passais ma vie en test. C’était horriblement frustrant, on ne produisait pas grand-chose. Tout ce que je n’aimais pas, moi j’aime être dans l’action. J’ai même pensé tout arrêter à un moment. Mais heureusement, j’avais mon exutoire avec L’Équipe !
Puis les années passent et vient le moment où je décide de partir de l’agence. Je venais d’avoir mon premier enfant. J’avais besoin d’argent et Change FCB venait de me faire une proposition alléchante. C’était dur de partir mais je finis par débarquer chez Change. C’était Patrick Mercier le président. Il m’avait vendu du rêve. Il cherchait un commercial pour gérer le partenariat PSG et Nivea. Mais en vérité, je me suis retrouvé avec plein de marques plus ou moins sexy. Franchement, entre DDB et Change, c’était le jour et la nuit en termes d’exigence créative. Pourtant, ils venaient d’embaucher Christophe Perruchas à la direction de création. Mais au bout de seulement 3 mois, il quitte l’agence. Je ne comprenais absolument pas la direction prise par l’agence…
À peine 6 mois plus tard, on reprend contact DDB et moi et je leur dis que ça serait chouette de rebosser ensemble. Une place finit par se libérer. On me dit que je peux revenir, mais à une condition : bosser sur l’entité après-vente de Volkswagen… une entité absolument pas sexy à l’agence à l’époque. Mais peu importe, je décide de prendre le challenge !
Justement, tu fais partie de l’équipe à l’origine de toutes les dernières campagnes pour Volkswagen entretien. Dis-nous, comment on change un client qui sent le cambouis en client qui fleure bon le lion à Cannes ?
Volkswagen entretien, c’est avant tout une relation qu’on a construite petit à petit. À l’origine, la division produisait principalement des catalogues/flyers/mailings. Mais en passant du temps avec les clients, je remarque une frustration vs tous les autres services en interne. Je décide alors de me battre à leur coté pour faire de la création et prouver qu’elle peut venir de n’importe quel sujet.
Comme j’étais très pote avec Jean-François Bouchet & Emmanuel Courteau. Je passe pas mal de temps avec eux. En pirate, je vais les voir pour faire un truc sur l’après-vente. J’arrive à vendre la campagne des « scénarios ». Je me souviens encore de la vente. J’avais le sentiment de vendre la campagne de l’année. Le fait d’en faire un sujet extrêmement important a quelque part construit les fondations de notre relation.
De toutes les campagnes qu’on a faites avec Volkswagen Entretien, la campagne Futur a été la plus dure à vendre. Je me souviens même de la présentation auprès du big boss de l’après-vente où le client nous arrête net pour nous dire « désolé, mais on va arrêter la présentation ici ». Le mec ne rigolait pas. Et là, sans trop réfléchir, je réponds « Non, on ne va pas s’arrêter là. On a des choses à vous montrer, on va vous les montrer. »
Et on vend Futur lors de cette réunion !
Les clients nous demandent combien ça va coûter. Je réponds « Vous en faites pas, on va se démerder ». Évidemment, c’était 100k… Mais on s’est débrouillé pour le faire. Et ça a fini en lion à Cannes !
(NDLR : Amis DA, vous trouverez sur ce lien, les étapes de création de ces visuels)
Puis l’histoire continue… le client nous rebriefe et demande, cette fois, des films pour le digital. Il fallait des films sur l’expertise. À la création, je bosse avec Sonia Dos Santos et Julien Beuvry. Ils me présentent une idée de bagnoles qui disent non quand on veut les ouvrir ou les démarrer. On présente à la cliente. Elle rit aux éclats pendant plusieurs minutes ! Le produit créatif était tellement bien que la vente s’est faite toute seule.
Les clients nous laissent gérer de A à Z au tournage. Les résultats sont au rendez-vous. Les post-tests étaient fous. Et la un 2e lion tombe, on n’y croyait pas…
On est sur un petit nuage… pas mal de copains à la création veulent bosser sur le compte.
On se dit que c’est le moment d’en profiter.
Tu parles d’Inside Jobs ?
On est après le Covid. Les gens ne changent pas de caisse. Il y a donc un vrai marché pour l’entretien. Mais le problème, c’est qu’il y a moins de salariés… Plein de gens ont changé de métier. Donc le groupe Volkswagen a un vrai besoin de recruter. Pas seulement la marque Volkswagen. Tout le groupe !
Tout le brief reposait sur la considération. Puisqu’il n’y avait pas plus de mécaniciens sur le marché, il fallait recruter des nouveaux salariés chez la concurrence. Mais pour cela, il fallait que ces mécaniciens se sentent considérés à leur juste valeur. Il fallait les flatter, parler de talent… En plan’s board, on voit plein de super trucs mais qui coûtent vraiment cher. On avait 150k, ce qui n’était pas énorme vu les attentes du brief. Mais voilà, au milieu de toutes les idées géniales de Clara Noguier et Olivier Lelostec, il y avait la campagne Inside Jobs, un cheval de Troie grandeur nature. Les clients tombent sous le charme de l’idée et de sa simplicité.
On fait tout de A à Z. On dégotte des véhicules dans leur jus et on travaille avec un technicien de chez Volkswagen pour savoir ce qu’il est possible de faire ou pas.
Mais il n’y avait pas que l’activation « Inside jobs ». Il y avait des films, une opération avec des rappeurs… La cliente, elle-même, nous dit « On va aller à Cannes avec ça ! ». Mais franchement, on était assez prudents au début. Jusqu’au lancement de la campagne… Là, la cliente nous appelle et nous dit « On a un problème… on reçoit trop de CV ! » (65 000 au total). Ils ont fini par recruter 600 CDI à la fin de la campagne et 113 alternants.
Et la concurrence dans tout ça ?
Aucune réaction. Pour la petite histoire, j’ai vendu la campagne à mon juridique après l’avoir vendue au client. La juriste m’a tout d’abord dit « No go. Concurrence déloyale. » Puis on a trouvé un terrain d’entente « OK. Mais pas de caméras dans les voitures ». Donc, pour la vidéo RP, on a simulé les scènes où les garagistes découvrent les messages dans les voitures.
Selon toi, quels sont les ingrédients d’un bon commercial ?
- La relation client. La base. C’est simple, lorsqu’un client te dit « Quand j’ai une réunion avec vous, c’est le meilleur moment de ma journée », tu sais que tu tiens une bonne relation.
- La curiosité. C’est essentiel de s’intéresser à son client. Poser des questions sur son business, son secteur, son interne… Et puis les abreuver de création, les nourrir en stratégies…
- L’adaptation. Il faut toujours s’adapter au client, toutes les personnes qui constituent l’équipe chez le client sont importantes. Certains ont besoin de chiffres, d’autres veulent voir directement la création. La moitié du temps, l’intro dans les présentations créatives est assez rapide.
- Le craft des decks. Victor Hugo disait « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface ». Je suis très exigeant sur les decks. Il faut que chaque slide soit soignée. Une présentation maîtrisée visuellement, c’est un impact de plus sur la vente.
- La force de conviction. Quand tu es convaincu de ce que tu présentes, ça fait toute la différence. C’est important de savoir bien peser les mots importants. De savoir embarquer son audience. C’est pour ça que je n’aime pas présenter en visio. C’est plus difficile de sentir les personnes en face. Une bonne façon d’apprendre à présenter, c’est de regarder les patrons présenter. Je pense à Alban Callet chez DDB. C’est une brute en présentation.
Est-ce qu’il y a de la place pour des jeunes plus introvertis dans ce métier ?
Il ne faut pas travestir sa personnalité.
L’extraversion ne fait pas tout. On peut jouer sur d’autres qualités. Le plus important, ce n’est pas d’avoir une grande gueule. C’est d’aimer la création, d’être curieux, d’avoir les yeux qui brillent ! Et puis la force de conviction, ça s’apprend… j’étais très timide au début. Je m’entrainais à parler devant un miroir. J’ai dû me faire un peu violence.
Quelles sont les campagnes où tu t’es déjà dit « mais comment ont-ils vendu ça ? »
Budweiser « Bring Home The Bud » — Comment tu prends une contrainte pour en faire une opportunité. Le résultat est canon, primé et, tout ça, pour le compte d’une très grande marque.
La saga Libress — Ça va à l’encontre de toutes les conventions. Alors que c’est une marque qui appartient à un groupe énorme ! T’imagines le nombre de discussions pour en arriver là ? Ça doit être quelque chose.
Quelle est la vente qui t’as fait le plus halluciner ?
Je suis très proche d’une commerciale de l’agence qui a longtemps bossé avec Gabriel Gaultier. Et elle m’a raconté qu’un jour, pour une présentation client, ils avaient fait venir des poulets. Des vrais poulets !
Comment juges-tu les idées pendant les plan’s board, les réunions internes durant lesquelles les créatifs présentent leurs campagnes ?
C’est un moment que j’attends toujours avec beaucoup d’excitation. C’est parmi les meilleures réunions de la journée ! Déjà, je remercie les créatifs. C’est un exercice qui n’est pas toujours très évident pour eux, où ils se dévoilent toujours un peu. Puis, j’essaie d’être assez honnête… Je ne veux pas laisser miroiter des choses. Avec l’équipe commerciale, on connaît notre client, on connaît sa patte. Il y a parfois des moments où les créatifs ne sont pas dans le brief, et c’est notre rôle de le rappeler. Mais c’est rare.
Le plan’s board le plus dur que j’ai vécu, c’était avec Alexandre Hervé. Difficile d’ouvrir la bouche quand tu étais junior, de peur de dire une énorme connerie. Les créatifs arrivaient avec la création, tu les écoutais puis tu devais vendre. À toi de te débrouiller.
As-tu des personnalités qui t’ont inspiré jusqu’ici, dans la pub et en-dehors ?
Dans la pub, j’adore le travail de Gabriel Gaultier, Alexandre Hervé et Jean-François Bouchet. Dans le graphisme, j’aime bien la rigueur d’Etienne Robial que j’ai eu la chance de croiser au détour d’une campagne sur L’Équipe. C’est un vrai puriste.
Après, je n’ai jamais eu de mentors à proprement parler.
Au planning, j’aimais bien Guillaume Martin et Romain Roux. J’aimais bien la technique de Romain qui laissait beaucoup de blancs dans son flow, comme pour laisser les gens digérer l’information.
Et puis au commerce, Alban Callet, Paul Ducré et Julie Haslé. Ils m’ont tous les trois apportés des choses à des moments différents de ma carrière. Alban pour la vente, Paul pour la justesse et Julie pour la relation commerciale (qu’est-ce qu’elle est forte.)
Ça mérite peut-être qq petites précisions sur ces deux dernières personnes
Quels sont les conseils qui t’ont le plus servi jusqu’ici ?
Connais bien ton client – Jean-Luc Bravi
Selon toi, qu’est-ce qui a le plus changé dans le métier depuis tes débuts ?
Avant, c’était très top-down avec la création. On se parle plus aujourd’hui. On est plus dans l’échange (c’est peut-être l’expérience qui fait ça). Par exemple avec Clara & Olivier, les échanges étaient permanents.
Et puis les terrains de jeux sont bien plus vastes aujourd’hui qu’il y a 30 ans. La créativité prend des formes bien plus diverses avec les activations par exemple. Ce qui ne change pas c’est l’impact des bonnes idées.
Quels conseils donnerais-tu à un·e jeune commercial·e qui se lance dans la pub ?
Ne jamais oublier que si on choisit ce métier, c’est par amour de la création. Aimer la création, c’est se battre pour faire vivre les idées, prendre des risques et ne pas craindre de commettre des erreurs. La persévérance, c’est important aussi… Il ne faut pas s’arrêter au premier échec. On ne devient pas du jour au lendemain patron d’un grand compte en agence, la nouvelle génération veut parfois aller trop vite, mais Dieu sait que c’est important de ne pas bruler les étapes.
Quel conseil te donnerais au toi de tes débuts ?
La même chose que Michel Blanc dans les Bronzés « Dis-toi que t’as aucune chance, fonce. Sur un malentendu, ça peut marcher ».
Les prix créatifs ont-ils de la valeur pour les commerciaux ? Un lion à Cannes ou un Effie pèse-t-il dans un CV, par exemple ?
Oui, ça compte. C’est même extrêmement important. Quand j’ai commencé, je voulais absolument gagner des lions. C’est une forme de reconnaissance collective, ça prouve qu’on va dans la bonne direction, qu’on fait les bons choix. Et puis c’est une raison de plus de célébrer, de partager des moments avec ses équipes.
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