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INTRO

Il y a toujours ce moment, à la fois jouissif et extrêmement frustrant, où l’on découvre une super campagne pour la première fois. Ce plaisir mêlé de jalousie où l’on se dit « p*tain, quelle bonne idée ! ». Puis parfois, en creusant un peu, une autre question nous rend encore plus jaloux : Mais comment ont-ils vendu ça ?

Vendre, c’est un talent. Au même titre qu’avoir des idées ou les réaliser. Ce talent, c’est celui de ceux que l’on appelle en agence : les commerciaux.
Mais c’est qui les commerciaux ? Ici, c’est Jonathan Serog, Directeur Général chez TBWA\Paris. Il a commencé par retranscrire les dialogues des vieilles pubs Maggie avant de devenir l’un des pilotes derrière l’incroyable saga Winamax. Gros parcours. Grosses campagnes. Grosse interview.

NDLR : Cette série d’interviews est orchestrée par Joseph Rozier.


Salut Jonathan, peux-tu nous raconter un peu ton parcours ?

J’ai su très tôt que je voulais faire ce métier. J’ai eu la chance de faire mon stage de 3ᵉ en Agence. Mais voilà. À la fin du lycée, ma famille voulait que je fasse médecine. J’ai opté pour la finance, mais j’avais toujours en tête de faire de la pub. Alors je truquais mes rapports de stage de finance pour faire des stages en douce en agence. Ma première expérience, c’était chez Publicis sur Nestlé. Pendant une semaine, je me suis tapé de retranscrire les dialogues des vieilles pubs Maggie. Aujourd’hui encore, je n’ai toujours pas compris pourquoi…

À la fin de mes études, en 2005, j’ai commencé chez Marcel quand l’agence s’appelait encore Marcel République et qu’elle était dirigée par deux têtes brûlées : Fred & Farid. Et autant dire que c’était la pub dont je rêvais !

Un exemple pour t’illustrer l’état d’esprit : un jour, on reçoit à l’agence le président de Coca-Cola. Ça prépare les slides, ça charbonne… Mais à 30mn de la présentation, rien à faire, on n’est pas prêts ! À ce moment-là, Fred Raillard s’exclame « On n’a qu’à péter les plombs ! ». Quoi ? Sérieux, le mec veut partir en vrille devant les clients ?! « Non, on fait sauter les plombs ! On fout l’Agence dans le noir, on prétextera une panne de courant » Et voilà comment on se retrouve à pitcher le président de Coca-Cola à la bougie. Mythique !

Je passe deux ans chez Marcel. Deux années de folie. Puis vient le moment où Fred & Farid annoncent à la presse leur départ de Marcel, un soir vers 22h, pour fonder leur propre agence… Je me dis que c’est le moment de partir. Le problème, c’est que je connaissais très mal le marché à l’époque. Du coup, un pote qui venait d’être recruté chez CLM BBDO fait passer mon CV là-bas. C’était une des meilleures agences du moment. Et je suis recruté sur Mars. Enfin, le groupe Mars. Et pour être honnête, au début, bah je ne kiffe pas du tout…

Mon premier call client, c’était avec la marque Malteser. La cliente nous brief sur un tag. Sérieux, un tag ? Alors forcément, au bout d’un mois, je décide de me barrer. Je rencontre un DG de chez Publicis et je lui explique que je dois absolument me tirer… Et là, le mec me dit « Tu croyais quoi ? C’est ça le métier » Sérieux ? Faire des packshots avec du chocolat, c’est ça le métier ? Mais il avait raison… c’est une industrie, la pub. Et c’est aussi ça, le métier.

Résultat : je reste chez 7 ans chez CLM. Je fais mes armes. Je rencontre des gens brillants, dont ma femme. Je découvre des secteurs très divers. Le food, le luxe, l’assurance, la distribution, les transports… Je fais mon premier Cannes.

Puis retour à mes premières amours : je rejoins l’agence Fred & Farid. Cette fois, avec plus de responsabilités. J’encadre des équipes sur Schweppes, Orangina, Decathlon… Les retrouvailles avec Fred & Farid sont pleines de surprises. Fred est parti en Chine et Farid gère l’agence de Paris. Dans les locaux, pas de bureau fixe. Les commerciaux dans un bâtiment, les créas dans l’autre. On se parle sur Wechat… J’y fais de belles rencontres, mais le chaos que j’adorais chez Marcel m’enthousiasme soudain beaucoup moins.

Je me fais alors débaucher par Pierrette Diaz, la Directrice de création de La Young à l’époque. Un projet assez sexy sur le papier. Le passage du jardin d’enfants à la maison de retraite est violent… Donc forcément, après 11 mois, je décide de me barrer.

C’est là que j’atterris en 2017 chez TBWA\Paris, où je suis encore aujourd’hui.

Chez TBWA, tu fais partie de l’équipe à l’origine de toute la saga Winamax. Comment on vend des campagnes aussi créatives dans un marché aussi complexe que le pari sportif ?

Wina, c’était d’abord le leader du poker en ligne. Le but était d’en faire le n°1 du pari sportif. On est invité à pitcher. Ils nous briefent principalement sur un film. On se qualifie avec une bonne stratégie, un mauvais film mais une campagne print canon ! On savait qu’on avait la campagne mais pas le film. Avec du recul, je pense qu’on aurait dû y aller sans le film. Il vaut toujours mieux présenter ce qu’on a de mieux. Mais heureusement pour nous, on a eu en face des gens intelligents qui ne se sont pas arrêtés sur une exécution mais ont vu le potentiel de la campagne. On retravaille le film et on sort « Le nouveau roi ».

Créas : Glen Troadec & Fabien Duval


Après le succès de la première campagne, on est briefé sur la seconde.

Avant de partir en création, on partage avec la marque des références de campagnes qu’on aime et qui nous semblent répondre à leur ambition. On en retient trois avec lesquelles on brief les créas. C’est une bonne manière de s’accorder sur une ambition, un style, une tonalité…

Premier plan’s board. Les créatifs nous racontent la campagne « Tout pour la daronne ».

C’est le coup de foudre. J’ai rarement été aussi bluffé par une campagne. On n’a pas changé une ligne, pas une image. On décide collectivement de ne présenter que cette campagne. Ok. Mais comment on vend un truc pareil maintenant ? C’était un ovni.

Créas : Lucie Vallotton & Vincent Cusenier


Alors, on a évité de faire trop de strat. On a fait très simple lors de la vente. Je leur dis « très honnêtement, c’est la meilleure campagne que j’ai eue entre les mains de ma vie. S’il faut en faire une, ça sera celle-là » parce que je le pense sincèrement. Un des fondateurs se marre et me dit « La dernière fois que tu es venue avec une seule campagne, tu es reparti avec ». Ensuite, on laisse le talent des créatifs s’exprimer pour raconter la campagne en mimant jusqu’au sound design. On était tous tellement convaincus qu’on les a convaincus. L’envie et l’énergie se ressentent et se transmettent.

L’idée, c’était une chose. Mais il y avait la réalisation aussi. Pour la petite histoire, lors de la présentation des réals, on a commencé le meeting par le budget. Une idée de Ben Marchal. Le sujet, c’était le budget plus que les talents pour faire le film. Après avoir présenté le budget, on leur a demandé si on continuait le meeting ou si on s’arrêtait là. Quand on a bien identifié le sujet central du meeting, il faut mettre le poids du corps dessus. Même si ça n’est pas toujours la discussion la plus simple.

Malgré le succès créatif, la campagne « Tout pour la Daronne » a été suspendue 1 an après sa diffusion. Nouvelle réglementation des paris sportifs. Comment vous avez vécu cette décision à l’agence ?

On a été critiqué pour notre franc-parlé et notre approche disruptive. On a toujours pensé qu’il fallait dire les choses à l’agence. Parier, n’est pas un sport. On ne parie pas pour avoir plus de sensations ou partager des moments entre amis. Parier, c’est avant tout pour gagner de l’argent. Ce n’était pas un discours policé. La nouvelle réglementation en vigueur nous a amenés à réfléchir différemment pour la 3ᵉ campagne.

Maintenant que tu en parles, comment on vend des homme-chats qui courent après une pelote de laine dans Bangkok ?

Honnêtement ça a été le plus compliquée des trois. Pour convaincre, il faut créer les conditions du succès. Or le contexte était compliqué. Des nouvelles règles qui pouvaient laisser place à une certaine interprétation, un nouveau process de décision impliquant les législateurs, la pression du timing et des clients qui aimaient à nous rappeler que « c’est généralement à la 3ème campagne que les agences se plantent ».

On est passé par différentes étapes. On a commencé par poser les bases. Plus besoin d’avoir le pari au cœur de l’histoire car Winamax = pari. On est une marque de divertissement, faisons du divertissement. Un message fidèle à ce qu’est la marque, vraie et directe – Le plus important c’est de gagner. Une fois alignés sur le fond, on a cherché une forme. Plus que l’histoire, qui est assez simple, il fallait mettre le poids du corps sur l’univers pour que chacun puisse se projeter. On a crafté le matériel de présentation pour qu’il soit au plus près du résultat final et qu’il enthousiasme les clients.

Créas : Swann Richard & François Claux

C’est quoi le secret d’une bonne vente d’après toi ?

L’important, c’est de créer les bonnes conditions. La vente se joue avant la vente. Une présentation, c’est comme une pièce de théâtre. Chacun son rôle, tout est préparé, répété, même l’improvisation est planifiée.

Exemple avec les Frères Saatchi qui pitchent British Airways… Le jour de la présentation ils font poireauter les clients plus d’une heure dans une salle de réunion volontairement dégradée et inconfortable. Les clients commencent à être furax et menacent de quitter l’agence au regard du traitement qui leur est réservé. Les frères Saatchi arrivent alors et l’un des deux s’exclame « Vous venez de vivre ce que vivent vos clients tous les jours. À présent, la présentation peut commencer ». La phrase fait mouche, car c’était si vrai à l’époque. Les clients sont conditionnés dans un certain état d’esprit. La vente peut avoir lieu.

À quoi tu fais attention quand des créatifs te présentent des idées ?

Plusieurs choses que j’essaie d’instaurer, même si parfois on se laisse emporter par l’émotion.

1. Remercier les créatifs avant d’émettre un jugement. Ce que je dis souvent aux jeunes commerciaux, c’est que les créas se mettent à nu quand ils présentent leur idée. C’est super important de respecter cet effort.

2. Laisser la parole aux plus juniors pour ne pas brider leur avis.

3. Être constructif. Il y a toujours du bon dans une idée. Même si elle est imparfaite, elle peut être améliorée, transformée, servir de point de départ à un échange… Elle est rarement inutile.

4. Surtout profiter, parce que ça reste le meilleur moment de la journée.

Quelles sont les campagnes où tu t’es déjà dit « mais comment ont-ils vendu ça ? »

Nike Write the Futur. Comment ils ont fait pour financer un film pareil ?
Comment tu vends la campagne la plus chère de l’histoire de la pub ?

Xbox Life is short Play more. Comment tu vends un ovni pareil ?
Pas de console, pas de produit et surtout pas de jeu sous quelque forme que ce soit.

Moldy Whopper. Sérieux, comment tu vends un burger en décomposition dans un secteur où chaque image doit donner envie de manger ?

As-tu des personnalités qui t’ont inspiré durant ta carrière ?

Dans le métier, je dirais Dan Wieden, le père de « Just do it » qui reste à ce jour à mes yeux la quintessence de la pub. John Hegarty, le H de BBH. J’aime son bon sens, sa logique. Il a une vraie vision du métier. Et puis quelle audace… Le mec fait vraiment partie de ceux qui ont changé ce métier. Fred Raillard que j’ai côtoyé. Un mec hors du commun. Et plus récemment Lee Clow & Jean-Marie Dru que j’ai eu la chance de découvrir pour l’un et de côtoyer pour l’autre, en arrivant chez TBWA.

Quels sont les conseils qui t’ont le plus servis jusqu’ici ?

Mon père m’a toujours dit : le plus important dans la vie, c’est de dormir tranquille. C’est si simple, si évident et en même temps, c’est si vrai… ça dit beaucoup de choses.

Ce serait quoi ton meilleur conseil à un jeune qui veut faire carrière en tant que commercial ?

Un mec m’a dit un jour : si tu veux réussir en tant que commercial, il faut que tu trouves ton DC de carrière. Le Directeur de Création avec qui tu vas faire ta carrière. C’est ce qui s’est passé avec Benjamin Marchal. Quand on s’est rencontrés chez CLM, au début, on ne pouvait pas se piffrer. On s’est retrouvé chez Fred & Farid. Aujourd’hui, on adore être ensemble.

Dirais-tu qu’il y a différents types de commerciaux ?

Oui, comme dans toute profession. On a tous une sensibilité particulière qu’il faut cultiver. C’est ce qui fait la richesse d’une Agence. Il y a des commerciaux stratégiques, des commerciaux producteurs, des commerciaux créatifs, des commerciaux internationaux (de network)… Le seul point commun qui doit les animer, c’est la passion. Pas uniquement pour le métier, mais vivre les choses avec passion.

Sur un CV, la partie qui m’intéresse le plus, ce sont les centres d’intérêt. C’est assez représentatif d’une personnalité. Il m’est arrivé de recruter une personne parce qu’elle était passionnée de châteaux-forts. Je me suis dit que si elle pouvait me transmettre sa passion pour les châteaux, elle en ferait de même avec une campagne pour un client.

Les prix créatifs ont-ils de la valeur pour les commerciaux ? Ou bien c’est l’argent qu’on gère qui compte plus que tout ?

Si tu ne veux pas de lions, change de métier ! C’est comme un footballeur qui ne voudrait pas jouer la Coupe du Monde. Ça n’a pas de sens.

On ne doit pas choisir l’un ou l’autre, car les deux sont intrinsèquement liés. La création pour la création, c’est de l’art. Nous ne sommes pas non plus des gestionnaires de patrimoine. La création publicitaire, elle est au service du business. Elle a pour objectif premier de développer le business d’une marque. Il suffit de regarder l’état du business des marques les plus créatives de leur marché. Apple, première capitalisation boursière du monde.

Tu dirais quoi à ceux qui hésiteraient à faire ce métier ?

Il y a peu de métiers aussi diversifiés, dans les sujets que l’on traite, les gens que l’on y croise aussi passionnants, avec autant de liberté d’action. Que ce soit sur la gestion d’un compte, d’une équipe, d’une organisation de travail. C’est un métier qui nous responsabilise très tôt. On commence Chef (de pub) et on devient vite directeur. C’est un métier de passion et d’audace. Il faut tenter sans arrêt.
On ne t’en voudra jamais de te planter.
En revanche, on te reprochera de ne pas avoir essayé.