Il y a toujours ce moment, à la fois jouissif et extrêmement frustrant, où l’on découvre une super campagne pour la première fois. Ce plaisir mêlé de jalousie où l’on se dit « p*tain, quelle bonne idée ! ». Puis parfois, en creusant un peu, une autre question nous rend encore plus jaloux : Mais comment ont-ils vendu ça ?
Vendre, c’est un talent. Au même titre qu’avoir des idées ou les réaliser. Ce talent, c’est celui de ceux que l’on appelle en agence : les commerciaux. Mais c’est qui les commerciaux ?
Ici, c’est Blandine Mercier. Directrice Générale chez Marcel. Après s’être rêvée Claudette, elle a fini par mettre les fruits & légumes moches sur le devant de la scène. Résultat : elle n’a jamais gagné de Victoire de la musique, mais elle ne compte plus les lions à Cannes.
NDLR : Cette série d’interviews est orchestrée par Joseph Rozier.
Salut Blandine, peux-tu nous raconter un peu ton parcours ?
À la fin du lycée, j’ai eu mon bac ES, au raz des pâquerettes. Je m’oriente vers une école de commerce. Mais alors que tous mes amis s’orientaient vers des postes en finance, je cherchais un univers plus créatif. J’avais toujours été assez fascinée par l’émission Culture pub. Je trouvais ça génial de faire rire les gens le temps d’un spot de 30s. Malheureusement, j’ai vite compris que je n’avais pas le génie créatif en moi. En revanche, j’étais assez enthousiaste et convaincante pour vendre des idées. Mais je connaissais très mal l’univers des agences de publicité.
En 2005, j’ai commencé ma carrière chez MRM, une agence du groupe McCann. Je n’avais absolument pas compris la différence entre le CRM, le marketing direct, la pub, etc. Je faisais les brochures de Canal+. Rien à voir avec les grands films. Puis je me suis orientée vers le digital, au sein d’une agence indépendante qui n’existe plus aujourd’hui : b3d. C’était une toute petite agence. On faisait de l’animation de communauté à une époque où il n’y avait ni Facebook ni Twitter. Donc j’infiltrais des forums de discussions. Oui oui, des forums.
En 2008, je rejoins Six&Co (petite entité du groupe Fullsix). C’est là que j’ai fait des découvertes déterminantes pour la suite. Notamment celle du planning stratégique aux côtés du brillant Mathias Ullman. C’est lui qui m’a fait découvrir le brief créatif. J’ai découvert la notion d’insight consommateur, cette vérité née de l’observation qui donne le meilleur angle, le meilleur brief. C’était super formateur !
Puis en 2010, j’arrive chez Publicis Net. J’ai beaucoup travaillé avec Guillaume Lartigue, CR à l’époque (aujourd’hui président de Steve). C’est grâce à lui que j’ai intégré l’agence. À cette époque-là, Publicis Net était l’entité digitale du Groupe Publicis et nous co-pilotions un certain nombre de sujets avec Publicis Conseil.
Publicis Net, c’était 140 personnes. C’était l’agence experte en digital du groupe Publicis : réseaux sociaux, sites évènementiels, bannières, activations… Puis au bout d’un moment, Marcel République (le hot shop créatif du groupe Publicis) et Publicis Net fusionnent. Il y a eu un processus d’acculturation entre deux agences extrêmement différentes. Et la campagne Les Fruits & Légumes Moches a été un des faits mémorables de ce rapprochement…
Justement, tu fais partie de l’équipe derrière les Fruits et Légumes moches pour Intermarché. C’était comment la vente ?
Vendre cette campagne fut étonnement plus facile que certaines campagnes plus classiques. On a misé sur des clients courageux et réellement motivés pour faire bouger les lignes. On a travaillé en petit comité avec nos clients pour éviter de rencontrer trop d’oppositions. Mais aussi pour éviter que l’idée soit lissée par trop d’intervenants autour de la table.
On l’a fait tout simplement. D’ailleurs, la campagne qui est sortie est exactement celle qui a été achetée ! On s’est tous dit qu’au pire notre campagne ne rencontrerait pas son public, mais qu’au mieux elle engagera les gens à s’interroger sur la non-présence et la non-consommation des fruits et légumes non-calibrés et qu’elle pourrait influencer les rayons des supermarchés de demain.
Nous avions réussi à convaincre des patrons de magasin pour tester le concept. Nous n’avions pas grand-chose à perdre, mais on ne s’attendait pas à gagner autant ! D’une petite échelle de quelques magasins, le concept s’est révélé un succès d’image et un succès business. Il a inspiré de nombreux acteurs de l’alimentaire à travers le monde et est devenu une marque à part entière pour l’enseigne Intermarché : les biscuits moches ou les conserves de fruits et légumes moches ont fini par rejoindre les linéaires d’Intermarché.
Cette campagne a été un succès collectif énorme. Elle a remporté l’adhésion de l’opinion publique et l’intérêt des médias (dont Télématin, mon graal !). Les festivals ont reconnu la campagne de nombreuses fois, ce fut incroyable !
Quelles leçons en as-tu tiré ?
Il faut faire les choses en rang serré ! Ce genre d’idée n’est bien que lorsqu’elle est achetée telle qu’elle a été présentée. Pour que les grandes idées existent, il faut travailler en équipe réduite et aller vite. On peut avoir plein d’intervenants différents, mais l’équipe pilote, elle, doit être petite. Et idem côté client ! Si tu intègres trop de gens, ça devient trop compliqué.
Quelles sont les campagnes où tu t’es déjà dit « mais comment ont-ils vendu ça ? »
“Proudly the second best” by Ikea – David Madrid
Assumer que son produit joue un rôle finalement secondaire dans la vie des gens est merveilleux. Ça redonne de la valeur à la manière dont la marque regarde ses clients, les comprend et surtout connaît leurs habitudes de vie. Je trouve que c’est une jolie déclaration d’amour à ses clients que fait IKEA. Et puis il faut une dose de courage pour se mettre en retrait.
“”Goalposts” by Umbro — Fallon
Une ode au football n’importe où, n’importe quand, et même sans équipement.
Un bel hommage pour tous les joueurs amateurs. Une campagne de célébration du jeu sans jamais montrer un seul produit, c’est toujours assez remarquable.
“Dumb ways to die” by Metro Trains — Mc Cann Australia
Une campagne pleine d’humour noir qui détourne toutes les conventions du secteur des transports. Un secteur qui était jusque-là régit par les traditionnels messages de prévention. Mais surtout, c’est une campagne qui a donné des résultats en réduisant significativement les accidents.
“Tiny Dancer” by John Lewis Insurance — Adam&Eve DDB
Un format long qui est l’alliance des meilleurs ingrédients publicitaires : un super script, une exécution parfaite (casting, chorégraphie, musique, photographie) et un excellent bouclage.
Comment juges-tu les idées pendant les plan’s board, les réunions internes durant lesquelles les créatifs présentent leurs campagnes ?
Avec beaucoup de spontanéité – cela a autant d’avantages que d’inconvénients – car les gens qui vont voir l’idée ne seront jamais assis dans leur canapé avec le planneur, le commercial, le DC et les créatifs pour lui expliquer les tenants et les aboutissants de l’idée. Le public va réagir de manière spontanée, c’est important de l’avoir en tête.
En agence, on entend souvent parler de stratégie de vente. Comment définirais-tu une bonne stratégie de vente ?
La bonne stratégie de vente, c’est d’abord un prérequis : une relation de confiance entre le client et l’agence. Tout le monde doit être convaincu que l’idée sert les intérêts de la marque et de son business, et que l’agence propose la meilleure exécution. Après tout est une question d’équipe et de timing : une équipe réduite, des délais courts. Le plus gros risque pour une idée audacieuse, c’est que plus on a de temps, et surtout de monde autour de la table, moins il y aura de courage.
Après je voudrais tout de même préciser qu’on ne fait pas vraiment de la vente. En agence, on fait du conseil. Notre métier, c’est d’accompagner nos clients vers les meilleures solutions. C’est d’installer une relation de confiance avec eux. On est loin de la scène du stylo dans le Loup de Wallstreet ! Ça, c’est de la vente.
Quel est ton meilleur souvenir de carrière ?
Le meilleur, c’est quand Télématin a parlé des fruits & légumes moches et que mes parents ont (presque) compris ce que je faisais dans la vie.
As-tu des personnalités qui t’ont inspiré durant ta carrière ?
Pascal Nessim, pour avoir piloté ce rapprochement entre ces deux agences (Net et Marcel)
L’audace d’encourager les gens à prendre des risques. Les fruits & légumes moches, c’était interdit par la loi et il a suivi !
C’est un entrepreneur dans l’âme qui se pose en permanence des questions sur le modèle de l’agence.
Youri & Gaëtan, les seuls patrons créatifs qui disent à leur agence « L’idée peut venir de n’importe où ». C’est unique et c’est certainement la recette du succès de Marcel. Et puis Benjamin Taïeb, mon Co, avec qui rien n’est impossible !
Quelle est l’étape la plus importante dans le parcours d’un commercial ?
Quand tu deviens manager. En France, on considère le fait de passer manager comme une promotion. Alors que c’est une nouvelle compétence qu’il faut apprendre. S’investir aux côtés de ses équipes, les aider à grandir, partager leur succès et aussi les galères…
Quels sont les conseils qui t’ont été le plus servis jusqu’ici ?
Il vaut mieux demander pardon que la permission.
Selon toi, qu’est-ce qui a changé le plus dans le métier depuis tes débuts ?
Les sujets que l’on adresse en communication. La publicité s’est longtemps concentrée sur des propos « produits/commerciaux » et, depuis plusieurs années, elle tient de plus en plus des propos « entreprise » : révéler des démarches innovantes, valoriser des métiers, assumer et soutenir des transformations profondes au sein de certaines catégories. Toutes les entreprises fournissent beaucoup d’énergie au quotidien sur des sujets qui sont souvent assez invisibles pour le grand public. Les éclairer en communication est un nouvel enjeu.
Trouves-tu que les jeunes commerciaux ont changé depuis que tu as commencé ?
Ils sont super enthousiastes ! Je les trouve vraiment dans le collectif. Chez nous, ils contribuent activement à la culture de l’agence.
Tu as déjà pensé partir de ton agence ?
Je suis restée longtemps car je m’y sens chez moi. On est libre de faire plein de choses.
C’est une aventure perpétuelle. Il y a toujours des nouveaux projets. Tu ne vois pas le temps passer. Et si un jour je pars, ce sera pour autre chose. Pas de la pub.
Quels conseils donnerais-tu à un.e jeune commercial.e qui se lance dans la pub ?
Je reprendrais bien une phrase de Bob Marley : « Les plus belles choses ne sont pas parfaites, elles sont spéciales ». À quoi j’ajouterais : fais en sorte qu’elles existent.
Les prix créatifs ont-ils de la valeur pour les commerciaux ?
Les prix créatifs valorisent les idées. Et les idées ont besoin d’une équipe pour exister, dont des commerciaux, ça a donc beaucoup de valeur ! En choisissant ce métier, vous êtes forcément passionné par les idées et votre graal est d’en vendre des très belles et qu’elles soient récompensées. Mais disons les choses : c’est souvent une question d’alignement des planètes. Le bon brief, la bonne idée, le courage d’un client, l’énergie de toute une équipe pour qu’elle existe… Ça fait beaucoup de paramètres !
Après, les prix, je ne sais pas si c’est déterminant dans un CV de commercial. Lorsque je recrute un commercial, c’est plutôt sa curiosité et son envie qui vont me convaincre plus que son palmarès.