Bonjour Jean-Yves, tu es photographe, quel a été ton parcours ?
J’ai d’abord été intéressé par le dessin, la BD. Puis après un BAC C, je me suis orienté vers le graphisme. J’étais très typo : Neville Brody, David Carson,…
J’étais à Estienne.
Puis j’ai fait un stage à BDDP avec Eric Holden et Rémi Noel sur Tag Heuer.
Et je me suis beaucoup amusé. J’ai vu 2 mecs qui s’éclataient dans leur boulot avec des supers campagnes sur des bons budgets. Évidemment ça donne envie.
Après l’école j’ai commencé chez Louis XIV avec Hervé Plumet. Puis quand il y a eu la fusion avec DDB je suis passé en team. J’ai bossé 5 ans en agence. Peu à peu j’ai commencé à shooter pour l’agence, sans vouloir devenir photographe, juste parce que c’était plus simple. Je me voyais plutôt faire des pochettes de disques, des trucs à côté de mon boulot de DA. Puis le rythme des agences s’est accéléré avec les « awards » et il y a eu moins de temps pour ces à côtés.
J’ai fait une première vraie série personnelle : « la vie quotidienne d’un super héros ordinaire » mon père dans des situations banales avec des supers pouvoirs. À ce moment là il y a eu le premier concours « les créatifs derrière l’objectif ». J’ai envoyé les 6 photos en me disant, si ça marche, il faut peut-être penser à devenir photographe. Les 6 photos ont été prises éditées en carte com et exposées au palais de Tokyo. Je suis alors allé voir un agent qui m’a pris tout de suite. J’ai pas trop réfléchi. 6 mois avant je n’aurais pas pensé devenir photographe.
Depuis combien d’années travailles tu dans le milieu de la photo ?
J’ai quitté DDB mi-2004 et j’ai vraiment commencé début 2005, il y a 8 ans.
Tu as de la famille des contacts proches qui travaillaient dans ce milieu avant d’y entrer
En dehors du fait d’avoir été directeur artistique, je ne connaissais pas plus que ça ce milieu.
Tu as hésité a faire de la photo ? qu’est ce qui t’as donné envie d’en faire ?
J’ai fait beaucoup de dessin, Je voulais faire de la BD, j’ai beaucoup d’histoires à raconter. Pour moi la photo c’est avant tout une question de vision. Pour moi la photo c’est un moyen pas trop compliqué de réaliser ces visions.
Au début j’étais un peu inquiet de ne pas être passé par la case assistant photo, mais la technique suit, ce n’est pas vraiment compliqué. Je m’interrogeais aussi sur la collaboration avec les directeurs artistiques. Mais en fait c’est très agréable d’essayer de pousser au maximum les idées/les images. J’essaie d’avoir une démarche de réalisateur en photo. Trop souvent les photographes se contentent de shooter le rough.
Tu travailles avec qui et sur quoi ?
Je travaille régulièrement avec BBH Londres, BETC, Publicis. Habituellement je suis plutôt sur des campagnes compliquées où on se demande bien comment on va faire. C’est le challenge de la publicité, on ne s’ennuie jamais. Parallèlement, je fais depuis quelques mois des photos de sportifs. J’aime bien photographier des corps en mouvement dans l’espace. J’avais aussi envie de moins scénariser, moins préparer mes photos. C’est agréable de bosser et d’être surpris sur le shoot par ce qu’on obtient, d’improviser.
Plus récemment j’ai commencé à bosser sur des photoloops :
Avec les nouveaux supports numériques on peut se douter que l’avenir de la photo se joue dans cette direction.
J’avais envie de faire quelque chose entre le film et la photo. C’est assez excitant car ça ouvre de nouvelles possibilités mais ça demande de tout changer, caméra, lumière continue, post prod… beaucoup de travail.
j’ai des tests avec une RED il y a un an et demi avec Wanda. C’était cool mais comment montrer ça ? je ne voulais pas faire des GIF.
Trop proche du cinémagraph.
J’ai demandé aux graphistes de mon site de bosser dessus. Ils ont mis 6 mois à me faire le truc. Avec tous les soucis de compatibilité de vidéo entre navigateurs.
L’idée c’est de faire ce qu’on fait en fixe en mouvement avec exactement la même qualité. D’où l’achat d’une RED épic, pour être confronté à toutes les questions techniques (et il y en a) et être prêt dès qu’une agence voudra en faire. J’ai fait des tirages A3 des photoloops et c’est vraiment pas mal.
Parles nous de deux trois images que tu as faites :
Un bon souvenir est la série ‘Légendes Urbaines’.
J’ai fait cette série après Perrier où il y avait beaucoup de retouches. Je voulais faire une série de photos étranges, surréaliste mais sans retouche. On a donc fabriqué 2 cornes qui se fixent et se cachent dans les cheveux. 3 jours de shoot à Los Angeles, film/photos. Une bonne expérience.
Une autre série personnelle intéressante est la série ‘Human Project’.
Je voulais faire du paysage, je voulais pouvoir partir seul, léger. J’ai imaginé cette idée. Comme c’est moi qui pose dans la combinaison, je suis obligé de le faire devant tout le monde. Moi qui suis assez timide ça m’a demandé pas mal d’efforts.
Les gens viennent me voir, me posent des questions. Aux États-Unis je craignais que quelqu’un appelle les flics, surtout quand je posais avec la Kalachnikov. Quand on sait que c’est moi tout ces petits personnages cette série prend une saveur particulière.
Tu fais quelque chose en parallèle de ton métier, des centres d’intérêts ?
J’ai eu 2 petites filles, elles ont 4 et 5 ans maintenant. Entre la photo et elles ça m’a bien occupé.
Il me reste juste un peu de temps pour faire un peu de moto.
As tu des anecdotes sur la vie en studio ou la relation client ?
Je suis plutôt un photographe d’extérieur, c’est donc plus mouvementé que le studio…
Par exemple, on a eu une bonne tempête sur la plage de la première campagne Perrier. Sinon je me souviens d’une PPM pour un shoot dans un cimetière vers le 15 septembre. Étant donné la date, on avait choisi de la jouer cimetière ça à l’américaine en automne avec de beaux arbres orangés et des feuilles mortes. Le jour de la PPM la cliente a dit qu’il en était hors de question, « l’été c’est jusqu’au 21 septembre, je veux une herbe verte et un ciel bleu ».
Le problème, c’est que les clients pensent qu’on peut tout faire avec Photoshop. C’est sûr on peut verdire une herbe, faire des nuages bleus, c’est juste moche mais on a l’impression qu’ils ne le voient pas. Heureusement, ce n’est pas souvent comme ça tout de même. Globalement, si on explique nos choix ça se passe bien.
(NDLR : nous pouvez voir le making off de 3 projets ici : http://www.jeanyveslemoigne.com/behind_the_scene/#/)
Dans ton métier quel est ton meilleur souvenir ?
Depuis que je suis photographe je me suis pas mal amusé, je dois bien dire. Cet été j’ai fait un shoot pour BBH à Los Angeles avec des spécialistes des maquettes pour le cinéma. Dans le hangar, il y avait des morceaux de cinéma : bout d’avion de Batman, décor du film Shutter Island, vaisseau spatial de Alien…
Le lendemain de notre shoot ils avaient rendez-vous avec Christopher Nolan pour son prochain film de SF…
Quelle sont les photos qui t’ont le plus marquées
J’aime beaucoup Philip Lorca Di Corcia, Taryn Simon, Vivian Sassen. Dans un genre plus publicitaire, j’admire Nadav Kander. Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il emmène la pub vers des écritures très photographique. Une autre chose aussi, c’est qu’il fait des choses très différentes, il prend des risques.
Trop de photographes quand ils arrivent à un certain niveau de notoriété, se contentent d’appliquer une recette. Une bonne recette, mais bon. Avec Nadav régulièrement encore on peut être surpris.
Sinon j’aurais bien aimé shooter les campagnes Diesel des années 2000.
Tu as des modèles créatifs, des gens qui t’inspirent ?
Je suis un peu boulimique de bouquin, d’art, d’expo, etc…
J’aime bien Erwin Wurm, de l’art qui ne se prend pas au sérieux. Maurizio Cattelan et sa revue Toilet Paper.
Avec qui aimerais tu travailler (models, marques, designers, illustrateurs…) ?
J’aimerai bosser avec des danseurs. J’ai vu un ballet de à Anne-Sophie Gillot à l’opéra Garnier qui été vraiment très bien. Il y a aussi Stefan Sagmeister qui mélange typo et photo.
Si tu pouvais changer qqchose de ton parcours, tu ferais quoi ?
J’aurais bien aimé faire plus de presse. Utiliser mon savoir faire de mise en scène en image fixe pour la presse. Je l’ai 2 fois pour le Monde2, mais en France c’est moins habituel qu’aux US. La presse a moins de moyens.
Tu vois quoi comme changement entre tes débuts et maintenant ?
J’ai bossé 2 ans en argentique, puis il y a eu le digital. Mais finalement cela n’a changé pas grand chose fondamentalement. Je pense que la prochaine évolution risque d’être plus bouleversante pour les photographes. Le digital outdoor, l’ipad (qui va finir par arriver à maturité au bout de 5 ans et 170 millions de tablettes) vont nous amener vers le mouvement, c’est presque sur.
Que dirais-tu a un jeune qui veut percer dans le milieu de la photo ?
Il doit se préparer à encore beaucoup de changements. Il doit donc se concentrer sur son écriture, sa lumière, son univers. L’appareil, les logiciels finalement importent peu.
Pour plus de Jean-Yves : www.jeanyveslemoigne.com/